8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Enfant placé, prendre place [1]

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La ques­tion de savoir ce qu’est un enfant pla­cé insiste dans l’atelier « Enfant sépa­ré ». L’expression enfant pla­cé vient du dis­cours cou­rant et se réfère à une dimen­sion juridique.

Dans le cadre de la pro­tec­tion de l’enfance, un juge peut confier un enfant s’il consi­dère que le main­te­nir dans son envi­ron­ne­ment fami­lial l’expose à un dan­ger. Si l’État, l’Aide sociale à l’enfance (ASE), via la jus­tice, se situe légi­ti­me­ment dans le registre de la pro­tec­tion, que peut-on dire de l’enfant pla­cé ? Avec Lacan, posons-nous ces ques­tions : l’enfant pla­cé existe-t-il ? Qu’est-ce qu’un enfant pla­cé ? Quel lien y a‑t-il entre l’enfant et l’Autre ? Comment accueillir la parole de l’enfant ?

 

Partons de l’enfant

Le lien à l’Autre est de struc­ture : « être sub­jec­ti­vé, dit Lacan, c’est prendre place dans un sujet comme valable pour un autre sujet[1]Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 285. ». Pour la psy­cha­na­lyse, tout enfant – et plus géné­ra­le­ment tout par­lêtre – est déter­mi­né par le lan­gage. Cela évoque la célèbre phrase de Lacan selon laquelle « le signi­fiant, c’est ce qui repré­sente le sujet pour un autre signi­fiant[2]Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 185. » tout en sou­li­gnant que la sub­jec­ti­vi­té n’opère que dans un lien à l’Autre. Il n’y a pas de sub­jec­ti­vi­té en soi. Au fil de l’enseignement de Lacan, ce concept d’Autre évo­lue. Il est d’abord exa­mi­né dans le registre du lan­gage, en tant qu’il repré­sente « le tré­sor du signi­fiant[3]Lacan J., « Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 806. », le sys­tème sym­bo­lique qui pré-existe au sujet. Il est sup­por­té par les figures de l’Autre paren­tal, aux­quelles le sujet a affaire.

Puis plus tard, s’orientant vers le réel, Lacan met au jour l’inexistence de l’Autre. Il s’en déduit alors que ce lien se fonde sur lalangue qui, elle, concerne le corps[4]Cf. Sommer-Dupont V., « 1er argu­ment vers la 7 Des parents en ques­tion ! », argu­ment vers la 7e jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net. . Le sujet est défi­nit comme sujet de l’inconscient. Il en résulte que la dimen­sion du hia­tus, de la cou­pure est là d’emblée. Il n’y a  pas de der­nier mot dans le lan­gage, pas d’équivalence de soi à soi, pas de lien direct entre le sujet et l’Autre : « La rela­tion du sujet à l’Autre s’engendre tout entière dans un pro­ces­sus de béance[5]Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, op. cit. ».

Cette phrase de Lacan ren­verse notre ques­tion pre­mière. Il ne s’agit plus de savoir ce qu’est un enfant pla­cé, mais com­ment chaque enfant prend place dans l’Autre. Ceci sou­ligne l’acte, la part prise, la res­pon­sa­bi­li­té de l’enfant. Le signi­fiant de l’Autre mar­quant le corps, l’enfant n’a d’autre choix que de cher­cher à répondre de ce réel.

 

Prendre place

Que le sujet soit lié à l’Autre n’oblitère pas la néces­si­té qu’il prenne place. La ques­tion de la sub­jec­ti­vi­té de l’enfant est liée aux ques­tions qu’il pose et à la réponse de l’Autre. Lacan nous sou­met cer­taines ques­tions des enfants : Qu’est- ce que cou­rir ? Qu’est-ce que taper du pied ? Par ces ano­dines ques­tions, appa­raît chez l’enfant « la ques­tion comme telle[6]Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, , op. cit., p. 285. ». Nous sommes en dif­fi­cul­té pour y répondre, car nous savons, avec Lacan que, fon­da­men­ta­le­ment et de struc­ture, le signi­fiant est man­quant. Il n’y a pas de réponse. Il y aura tou­jours un écart entre le mot et ce qui veut être dit. C’est jus­te­ment avec ces ques­tions qui ne trouvent pas de réponse que l’enfant éprouve de plus près ce réel, qu’il prend du « recul par rap­port à l’usage du signi­fiant lui-même[7]Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 286. ». Ces ques­tions convergent vers la ques­tion de son être : Que suis-je ?

 

Que répondre à l’enfant ?

Lacan est caté­go­rique, il enjoint les ana­lystes à « l’empêcher de se répondre[8]Ibid., p. 287. » : Je suis un enfant. Accepter cette réponse l’assignerait à sa posi­tion d’enfant, cela ferait alors consis­ter le mythe de l’adulte, ce qui par­ti­ci­pe­rait à « la répres­sion psy­cho­lo­gi­sante ». Lacan parle même d’« escro­que­rie sociale ».

Accepter Je suis un enfant fait écho au thème des 52e jour­nées de l’École de la Cause freu­dienne consa­crée à Je suis ce que je dis. Peut-on enfer­mer l’enfant dans ce qu’il énonce ? Dès son pre­mier Séminaire, Lacan affirme que l’on ne peut pas faire signer à l’enfant ce qu’il dit[9]Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits tech­niques de Freud, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 236. . À lire cette phrase à la lettre, Je suis un enfant, n’équivaut à rien d’autre qu’à : Je ne suis rien d’autre que moi qui parle, et, actuel­le­ment, je suis un enfant.

Lors d’une jour­née d’études à Saint-Brieuc sous le titre « L’enfant et ses pla­ce­ments », nous avons conver­ser avec deux juges pour enfants. Ils ont fait entendre la com­plexi­té de leur posi­tion dans l’accueil de la parole de l’enfant et la dif­fi­cul­té qu’il y a, à par­tir de cette seule parole, à éva­luer le dan­ger poten­tiel du main­tien de l’enfant dans sa famille. Les cas cli­niques ont mis en lumière de sin­gu­lière com­ment chaque enfant peut prendre place, se pla­cer de manière nou­velle, via l’appui sur le trans­fert, dans l’Autre auquel il a affaire. Valeria Sommer-Dupont a sou­li­gné la manière dont le parent répond, se rend res­pon­sable de l’énigme du corps sexué que l’enfant, avec son exis­tence, pré­sen­ti­fie. Car la ques­tion de l’enfant  Que suis-je ? ren­voie à la place qu’occupe l’enfant dans le désir de l’Autre. Permettre au parent de s’interroger sur la ques­tion : Quest que je me veux pour mon enfant ? Quest-ce que je veux de « moi » pour lui ?peut ins­tau­rer un espace dans le lien parent-enfant, peut le mettre en question.

La posi­tion de celui à qui s’adresse la parole de l’enfant est cru­ciale. Elle néces­site de prendre acte que l’enfant est mar­qué par le signi­fiant de manière indé­lé­bile, que le signi­fiant de la véri­té n’existe pas. Ainsi, le signi­fiant der­nier manque : aucun signi­fiant ne pour­ra jamais dire l’être de l’enfant. Il s’agit alors de prendre acte que, parce qu’il n’existe pas, l’Autre n’a pas la réponse – c’est alors prendre acte que le sujet est énigme.

Ainsi, ren­con­trer, accueillir, un enfant pla­cé, en ins­ti­tu­tion ou en famille, consiste à s’engager avec lui sur le che­min de l’énigme, et implique de l’accompagner à for­mu­ler plus pré­ci­sé­ment ce qui fait sa ques­tion. « Au que suis-je ?, il n’y a pas d’autre réponse au niveau de l’Autre que le laisse-toi être[10]Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 288. ».

[1] Texte paru dans le Zappeur vers la 7e jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien, n°18, revu pour la pré­sente publication.

Notes

Notes
1 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 285.
2 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 185.
3 Lacan J., « Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 806.
4 Cf. Sommer-Dupont V., « 1er argu­ment vers la 7 Des parents en ques­tion ! », argu­ment vers la 7e jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, op. cit.
6 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, , op. cit., p. 285.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 286.
8 Ibid., p. 287.
9 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits tech­niques de Freud, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 236.
10 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 288.

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