Freud, dans Malaise dans la civilisation, indique les impasses des relations à autrui dans lesquelles l’espèce humaine peut se retrouver, impasses où il est question d’impossible, la souffrance ne se réduisant nullement à un dysfonctionnement. Il n’était pas sans savoir que les progrès humains du côté de la science et de la raison ne seraient pas pour autant une avancée pour le progrès moral.
Le signifiant « harcèlement » prend une certaine ampleur depuis quelque temps et se propage dans le champ scolaire : définitions, enquêtes, protocoles, formations sont là pour essayer d’enserrer les phénomènes recouverts par ce mot, dans l’espoir de le contrer.
Dans ce numéro du Zappeur, vous lirez une manière inédite de saisir le harcèlement, sans doute parce qu’il n’y est pas pris uniquement dans la logique binaire du bourreau et de la victime. Il tient compte de la pulsion de mort intrinsèque à la jouissance des parlêtres. Le harcèlement est sans doute une des figures de la haine ordinaire face à une langue réduite à l’utilitaire et au binaire, incapable de tenir à distance la discordance entre la pulsion de mort et la pulsion de vie.
Les textes de Claudine Valette-Damase, de Claire Brisson et Ariane Oger nous ouvrent de nouvelles portes sur ce que recouvre le mot « harcèlement ».
La première esquisse le lien entre le harcèlement et la peur, ce qui ne peut se résorber par les réglementations. Elle invite à ne pas renoncer à faire monter le sujet sur la scène de l’énonciation.
La seconde nous indique avec justesse, que sortir du silence pour dire n’est pas chose aisée. Par ailleurs, un discours qui identifie ne suffit pas pour s’extraire de la haine, qui vise l’être. Le sujet aura à trouver un dire afin que de sa réponse, il soit responsable.
Enfin la troisième nous emmène vers la complexité de la langue, nullement réduite à un simple outil de communication. Elle interroge le rapport à la parole et au signifiant ainsi qu’à l’objet pour aborder la question du harcèlement.
Les textes de Béatrice Brault, de Sandra Ruchard, d’Ariane Chottin et Sonia Pent font scintiller différents effets du phénomène et la manière dont chacune manœuvre pour ouvrir, dans le champ de sa pratique, un espace de respiration afin que chaque un trouve à se déprendre de ce avec quoi il est aux prises.
Ainsi Béatrice Brault nous indique comment, dans une maternelle, le signifiant « harcèlement », issu d’une plainte parentale, joue la carte de la ségrégation dans un appel à un Autre susceptible de répondre à la peur de ces parents face à leur jeune enfant.
Sandra Ruchard nous retrace le parcours impressionnant d’un garçon de huit ans harcelé par la langue. Par des détours à nuls autres pareils et suivis avec docilité par son institutrice, cet enfant entre dans l’écriture.
Enfin, à partir d’une conversation dans un collège, Ariane Chottin et Sonia Pent prennent le parti de rendre la langue vivante en faisant un usage singulier de l’écriture, ouvrant par cette manœuvre une autre dimension du dire, une « dit-mansion », selon le mot de Lacan, où les mots ne collent plus à la peau et trouvent à résonner autrement.
Passer du phénomène du harcèlement à sa logique, change la donne.
Ariane Oger et Claire Piette