Année après année de jeunes enfants me parlent de leur angoisse des clowns tueurs. C’est avec « l’horreur d’une volupté qu’il ignore lui-même »[1] que l’enfant frissonnant me narre les vidéos mettant en scène ces figures cauchemardesques. Mais d’où cette fascination pour les vecteurs d’une violence si extrême peut-elle bien tirer son origine ?
« C’est un vrai clown ! » Tout le monde a entendu, à propos d’un enfant, cette expression, loin d’être bienveillante. La dose de mépris véhiculée par cette sentence et le ton sur lequel elle est bien souvent prononcée peuvent paraître surprenants. Le clown n’est-il pas censé apporter du plaisir par les rires qu’il suscite ? Mais en ne vivant que pour provoquer l’hilarité et les applaudissements, ce personnage apparaît trop aliéné à l’Autre. La recherche éperdue d’amour de cette figure de la demande pointe un manque abyssal. En ne soutenant son existence que du plaisir qu’il se voue à apporter à l’Autre, le clown est toujours prêt à déchoir, à glisser vers le palea. C’est cette caricature passant brusquement du comique au pathétique qui susciterait le mépris en renvoyant chacun à la dimension phallique du couple drame/comédie. Cette figure grotesque de la castration véhicule l’horreur qui s’y attache et pousse à s’en détourner tant elle renvoie à la solitude, à l’exil.
Quant au clown tueur, c’est toujours muni d’une arme qu’il surgit. Couteau, hache, tronçonneuse : tout un programme de découpe ! Cette version grimaçante apparaît comme une représentation de l’insoutenable castration qui guette. De « coupé », le clown devient par ce revirement monstrueux l’opérateur de la coupure, tandis que l’amour tant recherché dans la forme originale du clown vire à la haine.
Mais au-delà d’une castration symbolique vecteur d’humanisation, le clown tueur témoigne de l’inhumain derrière la demande d’amour dévorante. Celle-ci se trouve réduite à la violence de sa racine pulsionnelle restée hors symbolique. Cette image cauchemardesque à la cruauté sans pourquoi vient ainsi dénuder la pulsion de mort que chacun porte en soi. L’horreur et la fascination que le clown tueur provoque concerneraient donc aussi bien la prise dans un discours, d’où s’origine le sujet et son insupportable barre, que ce qui échappe au système signifiant.
Une telle représentation permet ainsi aux enfants de se faire peur en cherchant à faire entrer dans un discours la Chose angoissante nichée au cœur de chacun d’entre nous. On n’en a pas fini avec Ça[2] !
[1] FreudS., L’Homme aux rats, Journal d’une analyse (1909), Paris, PUF, 1974, p. 45.
[2] Référence au célèbre roman de Stephen King, Ça (1986), mettant en scène un clown maléfique. Un téléfilm en deux parties en sera tiré en 1990, puis une adaptation cinématographique, elle aussi en deux volets, dont le premier est sorti fin 2017. Celui-ci est aujourd’hui le film d’horreur le plus lucratif de tous les temps au box-office mondial.