La Récré-Livres est un dispositif d’accueil, au moment de la récréation, qui s’adresse à des enfants, de 5 à 8 ans, nouveaux arrivants de l’institution.
Malgré la vigilance de l’équipe, la récréation est source de conflits et de bagarres violentes. En accord avec l’équipe, nous avons mis en place une séance hebdomadaire de Récré-Livres permettant à certains enfants de rester à l’intérieur et au calme.
Chacun choisit de venir à la séance et peut rester le temps qu’il souhaite. C’est une offre au un par un dont chacun peut se saisir afin de s’extraire du « pour tous » de la cour de l’institution. Les enfants, installés confortablement dans une salle, découvrent l’histoire du jour, que ma collègue psychomotricienne leur lit. D’autres albums sont mis à leur disposition.
Sylvain et Emré, assidus à la Récré-Livres, nous montrent les usages qu’ils font de ce dispositif.
Sylvain, 7 ans, est le souffre-douleur des autres enfants qui le tapent et se moquent de lui dans la cour. Il est triste. Il vient d’abord à la Récré-Livres pour se protéger des autres enfants et il écoute l’histoire en silence. Puis, il partage ce temps avec son « amoureuse », main dans la main. À leur séparation, Sylvain continue à venir seul et fait entendre son « non » haut et fort après une histoire de dévoration ou son « je n’aime pas » après une histoire d’excès de gourmandises.
À l’écoute des Trois brigands de Tomi Ungerer, Sylvain se met à chantonner doucement : « oui-non », « oui-non » La semaine suivante, il ne vient pas et s’excuse de ne pas avoir vu l’heure. Il demande le titre de l’histoire qu’il a ratée et nous prévient que la semaine suivante il sera absent, car il part en séjour avec son groupe. Désormais, il ne vient que lorsqu’il a quelque chose d’important à nous dire : son anniversaire, son départ de l’institution parce qu’il déménage. La dernière fois qu’il vient, il nous confie qu’il aime l’histoire des Trois brigands.
Maintenant, Sylvain semble devenu capable d’affronter la relation à l’autre dans la cour de récréation. Il peut s’extraire du corps à corps et se sert de la parole. Sylvain sait désormais qu’il peut manquer à l’Autre.
Emré, 8 ans, est redoutable dans la cour de récréation par son agitation et ses crises de violence incontrôlables. Il aime les livres et prend plaisir à écouter l’histoire du jour. « Dans mon école d’avant, il n’y avait pas ça », nous dit-il. Alors que dans la cour, il est dans un état de grande excitation, nous sommes étonnées du calme et de la concentration dont il peut faire preuve à l’écoute de l’histoire. Le récit le tient littéralement.
Le problème pour Emré, c’est la fin de l’histoire. Nous remarquons que c’est au moment de la fermeture du livre qu’il s’agite, s’excite sans que rien ne l’arrête. Nous décidons alors de laisser le livre ouvert sur la dernière image sans le fermer.
Emré peut alors rester tranquille, mais aussi demander de relire l’histoire ou bien retourner dans la cour, ce qu’il fait dans de bonnes conditions. Désormais, il arrive à percevoir son excitation et à faire en sorte qu’elle ne l’envahisse pas complètement. L’arrêt sur image a permis à Emré, jusque-là pris dans l’impossibilité de s’arrêter, de trouver une issue subjective à la violence pulsionnelle dont il était l’objet.