8e Journée d'Étude

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Redonner vie aux mots

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Temps 1 : une demande

Des chefs d’établissements nous disent qu’ils sont sans recours. Dans cer­taines classes les effets de groupe sont tels que plus rien ne borde la parole qui cir­cule, crue, sau­vage. L’institution sco­laire fait appel à nous. Nous, c’est une asso­cia­tion pari­sienne, parADOxes[1]parADOxes : asso­cia­tion créée en 2009. Centre de consul­ta­tions psy­cha­na­ly­tiques et d’ateliers indi­vi­duels ou en petits col­lec­tifs, à Paris 10ème. Membre de la FIPA (Fédération des … Continue rea­ding, qui accueille des ado­les­cents pour des consul­ta­tions gra­tuites et des ate­liers d’écriture indi­vi­duels ou en petits col­lec­tifs. Ceux qui travaillent-là ont pour bous­sole la psychanalyse.

Nous pro­po­sons des conver­sa­tions. C’est un pari.

Ni réponse déjà-là, ni exper­tise pour abor­der ce « har­cè­le­ment », des ren­contres avec quelques classes.

Temps 2 : jouer à la vie des mots

Nous n’avons pas accep­té d’ouvrir nos ren­contres avec ces élèves à par­tir d’un thème, nous ouvrons par le mot « conver­sa­tion ». Ce mot sus­cite la sur­prise, quelques minutes de silence, il inter­roge. C’est dans ce sens que nous avons choi­si de tra­vailler comme l’indique le der­nier ensei­gne­ment de Jacques Lacan : aller vers la poé­sie, redon­ner vie aux mots, jouer à la vie des mots.

Ils veulent par­ler des « mots qui blessent »[2]Miller J.A., « Le mot qui blesse », La Cause freu­dienne, n° 72, novembre 2009, p. 134–136.. Se lancent aussitôt.

Ça crie, ça fuite, ça bruite, ça bouge, ça s’agite. Les mots qui jaillissent sont col­lés au corps qui les énonce : les mots har­cèlent le corps de l’élève. Dans leur che­vau­chée, la jouis­sance brûle. Ils la disent : « et il y a la haine qui efface tout, même la conscience. Ça sou­lage aussi ».

Nous en pré­le­vons, nous les écri­vons au tableau : le secret, la honte, l’humiliation. Ça apaise, ça détache le mot du corps, les regards s’orientent vers ce qui s’écrit, une pre­mière exté­rio­ri­té se des­sine. Le har­cè­le­ment de la langue se calme.

Temps 3 : la conversation puis l’écriture

Modestement, la conver­sa­tion, met en place ces moments d’articulation, ces temps pour voir à par­tir d’un point exté­rieur, le mot peut alors se réflé­chir sur eux et non plus être col­lé à eux, livré uni­que­ment à la pulsion.

Des extrac­tions, des sépa­ra­tions s’opèrent, par la conver­sa­tion puis l’écriture. Sur le tableau, un pre­mier texte : leurs mots que nous pré­le­vons, que nous sou­li­gnons, entou­rons, relions couvrent peu à peu la sur­face. Au un par un, ils sont alors tri­tu­rés, dépiau­tés, dégon­flés… En sur­git une pre­mière lec­ture ; ils font des trou­vailles : « les effets secon­daires de la parole », « les moqueries/les mots crient ». La pré­sence de nos corps, de nos gestes, per­met qu’ils s’avancent dans leur soli­tude. Des touches de tact, de pudeur inflé­chissent le ton des voix, redonnent l’épaisseur vivante à la langue sur fond de silence. « La pré­sence du silence n’implique nul­le­ment qu’il n’y en ait pas un qui parle – c’est même dans ce cas-là que le silence prend émi­nem­ment sa qua­li­té », dit Lacan[3]Lacan J., Le Séminaire, livre XII, « Problèmes cru­ciaux pour la psy­cha­na­lyse », leçon du 17 mars 1965, inédit.. Une élève se lève pour dire devant la classe un épi­sode très dif­fi­cile dont elle a souf­fert et ce silence l’accueille.

 Après-coup : des petits bouts de savoir

À par­tir de ces mots qui sor­taient de leur bouche, bruts, sans aucune phrase, aucune arti­cu­la­tion, nous orga­ni­sons leurs paroles avec des tra­cés au tableau pour faire appa­raître un dis­cours, une manière nou­velle de se par­ler. Nous pour­rions dire qu’en les pre­nant aux mots, la langue de l’école se trouait. Car c’est là tout de même, dans l’enceinte sco­laire, qu’ils apportent ces mots et leurs maux qui, du fait de nos pré­sences, ne se cognent pas aux murs, mais qu’ils nous adressent pour ten­ter d’en faire un dis­cours – les ensei­gnantes qui étaient pré­sentes nous ont dit à leur tour avoir « décou­vert leurs élèves ». Pour cela, il fal­lait du temps pour que ces petits bouts de savoir se détachent et que s’ouvre une autre dimen­sion du dire : « dit-mansion » comme l’écrit Lacan dans son néo­lo­gisme pour dési­gner la rési­dence du dit[4]Jacques-Alain Miller, … du nou­veau ! Introduction au sémi­naire V de Lacan, coll. rue Huysmans, Paris, 2000, p 45., « de ce dit dont le savoir pose l’Autre comme lieu.

Ariane Chottin et Sonia Pent

Notes

Notes
1 parADOxes : asso­cia­tion créée en 2009. Centre de consul­ta­tions psy­cha­na­ly­tiques et d’ateliers indi­vi­duels ou en petits col­lec­tifs, à Paris 10ème. Membre de la FIPA (Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée).
2 Miller J.A., « Le mot qui blesse », La Cause freu­dienne, n° 72, novembre 2009, p. 134–136.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XII, « Problèmes cru­ciaux pour la psy­cha­na­lyse », leçon du 17 mars 1965, inédit.
4 Jacques-Alain Miller, … du nou­veau ! Introduction au sémi­naire V de Lacan, coll. rue Huysmans, Paris, 2000, p 45.
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