8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Une réponse politique

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En 2005, les rap­ports du dépu­té Jacques-Alain Bénisti sur « La pré­ven­tion de la délin­quance »[1]Cf. http://​www​.lado​cu​men​ta​tion​fran​caise​.fr/​v​a​r​/​s​t​o​r​a​g​e​/​r​a​p​p​o​r​t​s​-​p​u​b​l​i​c​s​/​0​6​4​0​0​0​2​9​4​.​pdf et celui de l’Inserm « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent »[2]Cf. Expertise col­lec­tive de l’Inserm, « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », www​.ipu​bli​.inserm​.fr/​b​i​t​s​t​r​e​a​m​/​h​a​n​d​l​e​/​1​0​6​0​8​/​1​4​0​/​e​x​p​c​o​l​_​2​0​0​5​_​t​r​o​u​b​l​e​.​p​d​f​?​s​e​q​u​e​n​c​e=1 mobi­li­sèrent l’opinion et les pro­fes­sion­nels concer­nés pour reje­ter mas­si­ve­ment cette ten­ta­tive de pré­dire une déter­mi­na­tion de la vio­lence chez le jeune enfant sup­po­sée se retrou­ver à l’adolescence puis à l’âge vie adulte. Cette visée pré­dic­tive au ser­vice d’une poli­tique sécu­ri­taire était une réelle menace et a mobi­li­sé plus de 180000 signa­taires dans une péti­tion, Le gou­ver­ne­ment a reti­ré l’article sur le dépis­tage pré­coce du pro­jet de loi « Prévention de la délin­quance » et a renon­cé à l’idée d’un car­net de com­por­te­ment dès la maternelle.

Dans l’ouvrage col­lec­tif Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans ![3]Collectif, Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans, édi­tions Eres, 2006.  des pédo­psy­chiatres, pédiatres, des pro­fes­sion­nels de la petite enfance expri­maient leur volon­té de défendre leurs pra­tiques et leur expé­rience. Il s’agissait de s’opposer à la pous­sée cognitivo-comportementaliste et à l’immixtion de poli­tiques sécu­ri­taires dans les pra­tiques soi­gnantes, édu­ca­tives et d’actions sociales. Cet ouvrage montre que la vio­lence est fon­da­men­ta­le­ment conçue comme un mes­sage, comme l’expression d’une souf­france à prendre en compte dans un envi­ron­ne­ment et une évo­lu­tion en devenir.

Le signi­fiant « trouble » est deve­nu un signi­fiant maître de notre époque. Il ne fai­sait pas de doute pour le légis­la­teur et ses experts que « l’enfant violent » était une enti­té qui exis­tait pour affir­mer leur concep­tion scien­tiste du « trouble des conduites ». On peut voir, à la lec­ture du rap­port de l’Inserm, que les experts sup­po­saient dans un trouble des conduites, un désordre, un com­por­te­ment aso­cial où pré­do­mi­nait une dimen­sion ségré­ga­tive, déficitaire.

Plus de dix ans après, Internet four­mille de sites où l’on nous indique com­ment faire pour conte­nir le com­por­te­ment violent des enfants.[4]Quelques exemples : www​.soins​de​no​sen​fants​.cps​.ca/​h​a​n​d​o​u​t​s​/​t​i​p​s​_​f​o​r​_​p​o​s​i​t​i​v​e​_​d​i​s​c​i​p​l​ine ; … Continue rea­ding Les méthodes com­por­te­men­tales y ont une grande place, la « dis­ci­pline posi­tive » avec ses tableaux de com­por­te­ments semble avoir du suc­cès ! Les enfants rentrent de l’école en disant « aujourd’hui, j’ai eu un « rouge » ou un « vert ». Plus rien à voir avec les « bons points » d’avant qui venaient gra­ti­fier l’enfant pour son tra­vail. C’est le com­por­te­ment de l’enfant qui est constam­ment sous sur­veillance. Des vidéos de séances de coa­ching nous montrent l’efficacité des conseils pro­di­gués aux parents désem­pa­rés. Elles mettent au pre­mier plan l’agressivité plu­tôt que la vio­lence. L’instrumentalisation que ce plan annon­çait est deve­nue effective.

Au regard de cela, le texte de J.-A. Miller « Enfants vio­lents » apporte une réponse poli­tique, dé-ségrégative. Il peut être enten­du comme une inter­pré­ta­tion adres­sée à ceux qui ont com­bat­tu le pro­jet du légis­la­teur mais plus fon­da­men­ta­le­ment comme une réponse aux experts de l’Inserm, aux comportementalistes.

Il remet en ques­tion sans la reje­ter l’idée selon laquelle la vio­lence est un symp­tôme. J.-A. Miller reprend l’enseignement de Freud dans Inhibition, symp­tôme et angoisse : « Le symp­tôme serait le signe et le sub­sti­tut d’une satis­fac­tion pul­sion­nelle qui n’a pas eu lieu »[5]Freud S., Inhibition symp­tôme et angoisse, Paris, PUF, 1978, p. 7.. Il en déduit que la vio­lence est une satis­fac­tion qui advient, non refou­lée. Le sujet appa­raît pris dans une satis­fac­tion pul­sion­nelle qui n’est pas bor­dée par la voie symp­to­ma­tique. La for­ma­tion du symp­tôme est la consé­quence d’un refou­le­ment. « La ran­çon de ce pro­ces­sus, le résul­tat du pro­ces­sus de refou­le­ment, comme s’exprime Freud, est pré­ci­sé­ment le symp­tôme […] comme signe et sub­sti­tut d’une jouis­sance non adve­nue. Autrement dit, la léga­li­sa­tion de la jouis­sance se paye de la symp­to­ma­ti­sa­tion. L’être humain comme par­lêtre est voué à être symp­to­ma­tique. »[6]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 201, p. 198. Cette solu­tion du refou­le­ment per­met de tenir à dis­tance la satis­fac­tion directe mais elle ne rend pas compte de la vio­lence qui habite l’être humain.

Un des apports majeurs du texte J.-A. Miller est de mettre en évi­dence la source pul­sion­nelle de la vio­lence. Il nous donne un repère per­met­tant de nous orien­ter : « la vio­lence n’est pas un sub­sti­tut de la pul­sion, elle est la pul­sion. Elle n’est pas le sub­sti­tut d’une satis­fac­tion pul­sion­nelle. La vio­lence est la satis­fac­tion de la pul­sion de mort. »[7]Ibid, p. 200. Pour la psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne, l’enfant freu­dien, comme tout sujet, est confron­té aux effets de la pul­sion de mort et cherche à y parer. Il n’est pas pour autant un être aso­cial, déviant dont il fau­drait se méfier à tout instant !

Michel Héraud

 

Notes

Notes
1 Cf. http://​www​.lado​cu​men​ta​tion​fran​caise​.fr/​v​a​r​/​s​t​o​r​a​g​e​/​r​a​p​p​o​r​t​s​-​p​u​b​l​i​c​s​/​0​6​4​0​0​0​2​9​4​.​pdf
2 Cf. Expertise col­lec­tive de l’Inserm, « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », www​.ipu​bli​.inserm​.fr/​b​i​t​s​t​r​e​a​m​/​h​a​n​d​l​e​/​1​0​6​0​8​/​1​4​0​/​e​x​p​c​o​l​_​2​0​0​5​_​t​r​o​u​b​l​e​.​p​d​f​?​s​e​q​u​e​n​c​e=1
3 Collectif, Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans, édi­tions Eres, 2006.
4 Quelques exemples : www​.soins​de​no​sen​fants​.cps​.ca/​h​a​n​d​o​u​t​s​/​t​i​p​s​_​f​o​r​_​p​o​s​i​t​i​v​e​_​d​i​s​c​i​p​l​ine ; www​.magic​ma​man​.com/​,​v​i​d​e​o​-​c​o​a​c​h​i​n​g​-​p​a​r​e​n​t​a​l​-​3​-​o​u​t​i​l​s​-​p​o​u​r​-​s​e​-​f​a​i​r​e​-​o​b​e​i​r​-​d​e​-​s​o​n​-​e​n​f​a​n​t​,​2​0​0​6​3​3​9​,​2​1​7​0​9​4​6​.​asp, www​.trou​ble​de​com​por​te​ment​.com
5 Freud S., Inhibition symp­tôme et angoisse, Paris, PUF, 1978, p. 7.
6 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 201, p. 198.
7 Ibid, p. 200.