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Argument JIE5

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Argument

Par Caroline Leduc
Directrice de la Journée

Anti-social, tu perds ton sang-froid !

Enfants vio­lents ! Qui sont-ils, ces petits monstres qui refusent de se lais­ser gou­ver­ner, édu­quer, soi­gner ? Fauteurs de troubles, de désordre, cas­seurs, fief­fés effron­tés qui s’opposent, font de l’obstruction, mutilent leur corps, har­cèlent leurs pairs, se révoltent contre les maîtres… Ils ont la haine, la hargne, ils ne se laissent pas faire ! Pas de com­pro­mis pos­sible avec ces enfants-là, on ne peut pas leur faire la loi ! Pas tous et pas tou­jours mignons, nos enfants… Cela peut faire peur ou hor­reur, et sou­le­ver bien des fantasmes.

Ainsi est-ce à l’Autre et aux autres que ces enfants font d’abord vio­lence, fra­cas­sant l’autorité, outra­geant le bien qu’on leur veut, détra­quant la belle méca­nique des dis­cours, rui­nant toute jouis­sance légi­time. Ce sac­cage du sym­bo­lique pro­duit mais aus­si fait décou­vrir les déchi­rures dans le tis­su social que le maître se refuse à voir. C’est bien ce qui l’enrage et le pousse à incar­ner une auto­ri­té pour­tant inef­fi­cace qu’il est ten­tant, en retour, de pro­fa­ner. La vio­lence comme révolte met ain­si en valeur le « par­te­naire de l’acte de révolte »[1]Miller J.-A., « Comment se révol­ter », La Cause freu­dienne, n°75, Paris, Navarin, p. 216., celui qui fait ren­con­trer au sujet un impos­sible à supporter.

Ma mère la violence !

À rebours de ceux qui pos­tulent une ten­dance pri­maire à l’empathie, la psy­cha­na­lyse sou­ligne que la vio­lence est un fait pre­mier chez l’être par­lant. Elle est la pul­sion elle-même, indique Jacques-Alain Miller : « la satis­fac­tion de la pul­sion de mort »[2]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200. Intervention de clô­ture de la 4eJournée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique … Continue rea­ding. C’est un mode de jouir qui émerge avec le sujet et non un symp­tôme, sinon celui de l’Autre. « Enfants vio­lents » est ain­si un signi­fiant de l’Autre social, syn­tagme qui appa­raît quand celui-ci est déran­gé, dans l’impasse, dému­ni, impuis­sant. La glis­sade est alors facile d’« enfant violent » à « dan­ge­reux », par le mirage qu’on pour­rait cir­cons­crire et mesu­rer la vio­lence pour la pré­ve­nir, voire l’éradiquer. C’est mécon­naître qu’« il y a une vio­lence sans pour­quoi »[3]Idem, p. 202., pas toute expli­cable, édu­cable, ou psychiatrisable.

Il nous faut décol­ler « enfants » et « vio­lents » ! Exfiltrer la chose vio­lente du petit sujet pour la dépla­cer hors de lui, afin de situer ce qui la déclenche. Car on cher­che­ra moins sa cause que son occa­sion. Sa source n’est pas dans un moins – frus­tra­tion – mais dans un excès – angoisse. Il s’agit de trouer ce qui est enva­his­sant pour le sujet. Est-ce l’intrusion du corps d’un rival détes­té ou, à l’autre bout, la rup­ture impos­sible d’avec le corps d’un autre ser­vant d’appui comme double ? Se cogner et se cogner encore à l’Autre du lan­gage quand il s’incarne, dévas­ta­teur, comme dis­cours de maî­trise s’imposant au sujet ? Est-ce l’enflure du corps deve­nu Autre qu’il lui faut per­cer, quand grouillent les objets pul­sion­nels ou que com­mande une jouis­sance obs­cure ? La vio­lence peut même avoir valeur de mon­tage, comme l’illustrent les cas récents de vic­times ima­gi­naires ou d’auto-harcèlement sur inter­net au moyen de faux pro­fils et de mises en scène éla­bo­rées par le sujet lui-même.

Brûler tous ses vaisseaux

Aussi la vio­lence apparaît-elle comme la recherche para­doxale, déses­pé­rée, d’une issue à la jouis­sance, qu’elle pro­duit pour­tant dans le même mou­ve­ment. La néces­si­té d’inscrire une sous­trac­tion dans le réel en est l’enjeu, quand peut avoir échoué l’implantation d’un « signi­fiant de l’autorité »[4]Idem, p. 205. pour le sujet. La perte, sans média­tion, est alors au rendez-vous : cas­ser ou se cas­ser, muti­ler l’autre ou se muti­ler, jusqu’au sui­cide et aux fusillades lycéennes ou ter­ro­ristes qui en sont un équi­valent social. Un sacri­fice est com­man­dé au sujet, acte radi­cal par lequel lui, ou quelque chose de lui, doit disparaître.

La vio­lence convoque donc spé­cia­le­ment la dimen­sion de l’acte, un acte qui sépa­re­rait de l’insupportable et vide­rait la jouis­sance. Elle y échoue et s’y répète cruel­le­ment dans le pas­sage à l’acte. Elle cherche une adresse et demande à être lue dans l’acting-out. Parfois, elle réus­sit : cer­taines vio­lences sont fécondes et ont valeur d’acte.

C’est une vio­lence inouïe qui a arra­ché du vivant le sujet. Tout acte comme tel emporte avec lui ce mou­ve­ment ini­tial. La vio­lence vise à faire évé­ne­ment, à créer un avant et un après de l’état du sujet ou du monde qu’il habite. Elle le peut pré­ci­sé­ment car elle est puis­sance qui « délie, frag­mente, […] épar­pille façon puzzle »[5]Idem, p. 201., et en cela s’oppose à la haine qui est « lien social émi­nent »[6]Idem, p. 200..

C’est parce que l’acte violent inva­lide toute opé­ra­ti­vi­té du lan­gage qu’il peut faire levier sur lui et le réagen­cer dans un nou­vel équi­libre des forces avec la jouis­sance. Il y a de l’honneur dans la vio­lence, dans cette effec­ti­vi­té supé­rieure où se nouent la mort et le vivant du corps prêt à se perdre. N’est-ce pas dans cette zone extrême que sur­gissent des effets de création ?

Un peu de douceur dans ce monde de brutes

Cette puis­sance de déliai­son propre à la vio­lence en fait une cli­nique dif­fi­cile, qui met spé­cia­le­ment à l’épreuve le trans­fert et la posi­tion du pra­ti­cien. L’absence de demande de ces enfants pousse à l’invention. Il s’agira d’explorer et d’in­ven­to­rier les finesses de « la prag­ma­tique de l’abord de l’enfant violent »[7]Idem, p. 203., telle que nous la met­tons en œuvre dans notre orien­ta­tion, dans les cures d’enfants et d’adolescents comme dans les ins­ti­tu­tions où nous les accueillons. Par quels contour­ne­ments, quelles aéra­tions, quels habillages ou vidages se tem­père la chose vio­lente chez l’enfant ? Un pro­grès de mise en forme d’un symp­tôme peut-il adve­nir, et comment ?

Quelles sont les condi­tions sub­jec­tives, poli­tiques, sociales et ins­ti­tu­tion­nelles de l’émergence des phé­no­mènes de vio­lence chez l’enfant et l’adolescent ? La pro­chaine Journée d’étude de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant (Université popu­laire Jacques-Lacan) aura à cœur de les situer et de repé­rer les leviers de l’efficace de l’orientation laca­nienne pour y répondre dans les cures et dans les institutions.

Notes

Notes
1 Miller J.-A., « Comment se révol­ter », La Cause freu­dienne, n°75, Paris, Navarin, p. 216.
2 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200. Intervention de clô­ture de la 4eJournée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’enfant.
3 Idem, p. 202.
4 Idem, p. 205.
5 Idem, p. 201.
6 Idem, p. 200.
7 Idem, p. 203.

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