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Édito : L’air de la sexuation.

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Par Valeria Sommer Dupont

L’air de la sexuation

Laissons la sexua­tion, pourrions-nous dire en enton­nant un air de Lacan, « à ce qu’[elle] est : un évè­ne­ment de corps, lié à ce que : l’on l’a, l’on l’a de l’air, l’on l’aire, de l’on l’a. Ça se chante à l’occasion. »[1]

Ça se chante, pré­cise Lacan, et en effet ça se chante : les enfants prêtent leurs voix, leurs corps pour l’entonner. Connaissez-vous la chan­son ?  Elle com­mence ain­si : « Derrière chez moi, devi­nez ce qu’il y a ? Derrière chez moi, devi­nez ce qu’il y a ? Il y a un arbre le plus bel arbre. Arbre du bois, petit bois der­rière chez moi. » Puis, vient le refrain qui dit : « Et la lon la lon lère et la lon la lon la ». Lacan s’est amu­sé à le scan­der ain­si : « l’on l’a, l’on l’a de l’air, l’on l’aire, de l’on l’a ». Une vir­gule, une apos­trophe, un peu d’air entre les lettres, et voi­là que la phrase se trans­forme et que de ce mag­ma de paroles un sens sur­git. On passe du « lon la » à « l’on l’a ». D’un évè­ne­ment de corps l’on l’a un avè­ne­ment de signi­fi­ca­tion. C’est un choix que de ponc­tuer, que d’introduire un espace, que de sex­tion­ner cette matière sonore, et de le faire plu­tôt comme ceci que comme cela, plu­tôt ici que là. Ce choix, trans-forme. C’est de choix, de trans-formation et de réveil dont il s’agit dans ce numé­ro du Zappeur qui recueille les inter­ven­tions de Dalila Arpin, Christine Maugin et Alexandre Stevens, lors de la der­nière soi­rée pré­pa­ra­toire à la Journée de l’Institut de l’Enfant, ain­si que le texte de Morgan Léger que vous trou­ve­rez dans le Supplément Manga.

Revenons à notre chan­son. Après le refrain, elle conti­nue ain­si : « Et sur cet arbre, devi­nez ce qu’il y a ? (à répé­ter deux fois). Il y a une branche, la plus belle branche. Branche sur l’arbre, arbre du bois, petit bois der­rière chez moi ». Et « sur la branche devi­nez ce qu’il y a ? (bis) Il y a une feuille, la plus belle des feuilles. Feuille sur la branche, branche sur l’arbre, arbre du bois, petit bois der­rière chez moi ».  « Et sur la feuille, devi­nez ce qu’il y a ? » et à l’adulte d’ajouter au cou­plet de base un nou­vel élé­ment élar­gis­sant ain­si le cor­tège. Et aux enfants de réca­pi­tu­ler dans l’ordre don­né le cou­plet en incluant à chaque tour les objets des cou­plets pré­cé­dents. Ce type de chan­son existe aus­si dans d’autres langues – je pense à « Sal de ahi Chivita » ou « Hay un bar­co en el fon­do de la mar » qui ont accom­pa­gné mon enfance. La par­ti­cu­la­ri­té de celle-ci, au moins dans la ver­sion qui m’intéresse, réside dans le tour de passe-passe qui nous pré­ci­pite au début de la chan­son au moment où l’on croyait être à la fin de l’enchaînement.

Regardons de près le truc qui per­met ce tour. C’est par une équi­voque homo­pho­nique poil/poêle que nous glis­sons du poil sur la plume … au poêle dont le bois qui vient de l’arbre du petit bois der­rière chez moi brûle. Voilà que d’un « coup de mot » nous sommes retour­nés comme des gants, le der­rière devient l’avant, l’extérieur, l’intérieur. Et c’est par­ti pour un nou­veau tour, encore et encore. Et ça a l’air de s’emboîter… à un poil près. L’équivoque est là pour l’indexer.

Vous décou­vri­rez dans les textes de ce Zappeur com­ment l’air de la sexua­tion, c’est un air sur ce que l’on l’a, l’on l’a l’air d’une fille, l’air d’un gar­çon, sur fond d’aire, de trou. C’est un air sur un mys­tère qui se loge­rait dans un derrière-devant chez-soi et dont la seule chose qu’on devine c’est qu’il y a, et ça se chante à l’occasion.

[1] Lacan J., « Joyce le symp­tôme », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 569.

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