8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Le dogme de la non-violence

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« Un dogme ne se dis­cute pas, on l’adopte
le petit doigt sur la cou­ture du pan­ta­lon. »

Miller J.-A.,« L’Ecole, le trans­fert et le travail »

 

Du point de vue de la poli­tique, la ges­tion de la vio­lence demeure un enjeu majeur pour les états tenus de bien édu­quer la géné­ra­tion future. Ainsi le Conseil de l’Europe consi­dère l’éducation posi­tive comme la plus à même de res­pec­ter les droits de l’enfant. Cette alter­na­tive édu­ca­tive a notam­ment été relayée par la psy­cho­thé­ra­peute Isabelle Filliozat dont le livre, J’ai tout essayé, oppo­si­tions, pleurs et crises de rage : tra­ver­ser sans dom­mage la période de 0 à 5 ans, a été ven­du à plus de 60000 exem­plaires. Cette méthode est éri­gée comme solu­tion pour contrer la pul­sion de mort à tous les niveaux.

La com­mu­ni­ca­tion non-violente (CNV) en est un des prin­cipes fon­da­men­taux de l’éducation posi­tive. Développée aux Etats-Unis dans les années 60, par le psy­cho­logue Marshall Rosenberg, la CNV s’ins­pire des tra­vaux de Carl Rogers et de Gandhi. Il s’agit d’instaurer entre les êtres humains des rela­tions fon­dées sur une coopé­ra­tion har­mo­nieuse. L’idée est de trans­for­mer les conflits, les crises de colère en dia­logue. Pour y par­ve­nir la CNV pro­pose d’ap­prendre une com­mu­ni­ca­tion débar­ras­sée de toute vio­lence, à com­men­cer envers soi-même car « com­ment pré­tendre à une bonne écoute de l’autre, si nous ne savons pas le faire pour nous même ? »[1]Cf. www​.psy​cho​lo​gies​.com/​T​h​e​r​a​p​i​e​s​/​T​o​u​t​e​s​-​l​e​s​-​t​h​e​r​a​p​i​e​s​/​P​s​y​c​h​o​t​h​e​r​a​p​i​e​s​/​A​r​t​i​c​l​e​s​-​e​t​-​D​o​s​s​i​e​r​s​/​L​a​-​C​o​m​m​u​n​i​c​a​t​i​o​n​-​n​o​n​-​v​i​o​l​e​n​t​e​-​m​o​d​e​-​d​-​e​m​p​loi Cette péda­go­gie s’appuie sur les neu­ros­ciences et les lois natu­relles d’apprentissage du cer­veau. Bien que basée sur un para­digme scien­ti­fique, elle reste floue. On apprend qu’il s’agit de prendre « pleine conscience » de ce que l’on attend de l’autre et de ses sen­ti­ments, de les for­mu­ler, d’exprimer ses besoins « sans exer­cer de vio­lence sur les inter­lo­cu­teurs »[2]Cf. www​.slate​.fr/​s​t​o​r​y​/​1​0​4​3​1​9​/​e​d​u​c​a​t​i​o​n​-​p​o​s​i​t​ive par un voca­bu­laire posi­tif. Par consé­quent, ils ne seront pas vio­lents. La com­mu­ni­ca­tion est qua­li­fiée de « gagnant-gagnant » par l’équation parents non-violents = enfants non-violents. L’objectif est très allé­chant : construire un monde plus doux pour tous, où cha­cun puisse avoir une place sans juge­ment ni agressivité.

Or, « ils ignorent la ques­tion de la jouis­sance, véri­table impact de la pul­sion dans le corps, agis­sant de façon ité­ra­tive et qui ne s’arrange pas avec de bons conseils… »[3]Bonnaud H., « Enfants tyrans », Lacan Quotidien, n°782, juillet 2018, publi­ca­tion en ligne, www​.lacan​quo​ti​dien​.fr. On retrouve dans cette méthode les deux aspects sou­li­gnés par Clotilde Leguil dans son der­nier ouvrage[4]Leguil C., Je, une tra­ver­sée des iden­ti­tés, Paris, PUF, 2018.. D’une part, la dimen­sion col­lec­tive iden­ti­taire dans laquelle le « nous » se sub­sti­tue au sujet. Ainsi, il n’est plus néces­saire de faire de dif­fé­rence entre un indi­vi­du et un autre, la com­mu­nau­té est là comme rem­part ima­gi­naire contre la pul­sion de mort. D’autre part, le recours au dis­cours scien­ti­fique. Ici, il n’est pas impor­tant de faire la dis­tinc­tion des êtres humains selon leur his­toire, et leur désir puisque ce qui arrive est tra­dui­sible en terme numé­rique. La CNV fait donc dis­pa­raître la dimen­sion sub­jec­tive, « le lieu où le je tente de s’exprimer »[5]Leguil C., Je, une tra­ver­sée des iden­ti­tés, op. cit., p.14..

La psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne pro­pose une autre voie en déca­lant le sujet des iden­ti­fi­ca­tions et en fai­sant une place à cette jouis­sance qui cloche. Elle ne nie pas la part d’agressivité de chaque sujet, elle la place au cœur-même de sa consti­tu­tion. En pre­nant appui sur le trans­fert, un sujet pour­ra alors trou­ver sa réponse par­ti­cu­lière, du côté de l’invention.

Delphine Jézéquel