Retour sur les cas princeps freudiens
Par Damien Guyonnet
En 4ème de couverture de la réédition chez Payot des Cinq psychanalyse[1], nous pouvons lire la présentation suivante : « Une jeune fille manipulée et abusée par son père, un garçon pris de panique à la vue des chevaux, un jeune homme obsédé par un horrible supplice chinois […] un Russe bipolaire aux étranges hallucinations… »
Un retour à la clinique s’impose, donc.
Quatre des cinq cas célèbres de Freud seront ici repris, décortiqués et interrogés – c’est la nouveauté – sous l’angle de la sexuation.
Reprenons la présentation des protagonistes. Il y a d’abord celle qui porte un simple prénom (inventé), mais que nous pouvons désigner comme étant Dora la suçoteuse. Il y a ensuite Le Petit Hans, dont le véritable nom est en fait : Le petit aux chevaux. Et enfin, L’Homme aux rats et L’Homme aux loups, le sujet étant désigné dans les deux cas par son choix sexué (écrit avec une majuscule), celui-ci étant associé à un nom de jouissance (indiqué au pluriel) – pour chacun, le nom de son être de jouissance, son veritable nom propre[2].
Précisons l’objectif de nos auteurs. S’intéressant aux circuits empruntés par la jouissance du sujet lors de son enfance, il s’agira, dans chacun des cas, de s’aventurer au plus près de ce qui fait joint entre sexuation et symptômes – en lien bien sûr avec le langage et les premières rencontres infantiles avec le sexuel (registre du corps).
Nous commencerons par explorer avec Agnès Aflalo la jouissance de l’Homme aux loups (Serguei Pankejeff), déjà adulte lorsqu’il commence son analyse. Le travail proposé ici par l’auteure constitue une véritable recherche qui fera date. Les points abordés sont nombreux, tous les symptômes sont répertoriés et analysés et se dégage alors avec clarté la singularité du mode de sexuation du patient, lui permettant de faire concilier le devenir homme et la féminisation, ceci sur fond d’une forclusion.
C’est ensuite la jouissance de L’Homme aux rats (Ernst Lanzer) – adulte également lorsqu’il consulte Freud – qui sera explorée par Esthela Solano. Vous découvrirez alors combien l’articulation ici dépliée entre le symptôme obsédant, le fantasme et le phénomène de corps est limpide et enseignante. C’est aussi une nouvelle piste de recherche qui est proposée à travers l’abord de la sexuation (pas sans le fantasme) sous l’angle d’une invention/défense face au réel du sexe.
Venons-en au cas du Petit Hans (Hubert Graf) – cinq ans lorsque son père s’adresse à Freud – que revisite avec brio pour nous Guillaume Libert. Est alors abordé la cause, la logique et la fonction de sa phobie, autour de la question centrale de la castration et en lien bien sûr avec le registre de la sexuation. S’éclaire alors pour nous, entre autres, l’énigmatique « coalescence […] de la réalité sexuelle et du langage »[3] qu’évoque Lacan dans sa « Conférence à Genève sur le symptôme ». Pas sans avoir recours au concept de « nouage »….
Enfin, c’est une partie du mystère de la sexuation de Dora (Ida Bauer) – adolescente lorsqu’elle consulte Freud – qui sera révélée pour nous par Carole Niquet, relevant avec précision l’exploration par Freud de ses modes de jouissances infantiles ; ainsi d’aborder le suçotement et la masturbation. Des symptômes hystériques s’en déduisent, avec une jouissance liée à l’objet ou au phallus, mais également un choix sexué, à condition toutefois, comme le relève pertinemment l’auteure, de ne pas se référer (uniquement) au registre de l’identification.
Plus d’un siècle nous sépare de ces sujets, de ces parlêtres qui ont rencontrés la psychanalyse et par la même occasion œuvrés à sa fondation et à son développement. Et tout comme nous disons que l’inconscient ignore le temps, relevons combien ces cas princeps de Freud relus par Lacan continuent à nous enseigner et à constituer de véritables boussoles cliniques, à condition bien sûr de ne pas abraser ou forclore le réel en jeu.
[1] Freud S, Cinq psychanalyses, Paris, Petite Biblio Payot, 2017.
[2] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 27 novembre 1991, inédit.
[3] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 13.