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Entre littérature et justice*

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Par Marie-Cécile Marty

« Un savoir donc, se réfu­gie quelque part par rap­port à quoi tout savoir s’institue dans une hor­reur indé­pas­sable, au regard de ce lieu où gît le secret du sexe. [1]»

Dans son célèbre roman Lolita paru en 1955, Vladimir Nabokov a l’art de semer le trouble chez le lec­teur et de le lais­ser intran­quille. Dans ce roman, « le désir per­vers se livre[2] ». Le lec­teur est convo­qué dans ses défenses intimes : com­ment rece­voir les faits expo­sés et prendre posi­tion ? Le lec­teur se laissera-t-il séduire par Humbert Humbert, le nar­ra­teur âgé de qua­rante ans, expo­sant sa pas­sion et le drame de son obses­sion pour les nym­phettes ? Le lec­teur se laissera-il trou­bler par le menu détail éro­ti­sé du tableau que l’homme de lettres et ama­teur d’art dresse de Lolita, douze ans ? Consentira-t-il à ce regard por­té sur l’enfant ? Le lec­teur se laissera-t-il empor­ter et fas­ci­ner par l’art de l’écriture dévoi­lant le fan­tasme ? Le lec­teur se laissera-t-il déso­rien­ter par l’aveu de pen­sées tor­tueuses et tor­tu­rées du nar­ra­teur à son tri­bu­nal inté­rieur ? Dans le roman, un contraste : le silence de Lolita. Il  est la marque de la ren­contre avec le réel. Ce silence ne sau­rait être trop vite inter­pré­té. Dans son ensei­gne­ment, Lacan apporte un point d’orientation pré­cieux : « le réel ne sau­rait s’inscrire que d’une impasse de for­ma­li­sa­tion [3]». Dans la ren­contre avec le sexuel, qui est par essence trou­ma­tique, irre­pré­sen­table, la faille de l’indicible est béante.

La psy­cha­na­lyse fait un accueil atten­tif au sujet, qui dans l’après coup de cette mau­vaise ren­contre, tente d’attraper avec les mots ce « jusqu’au plus intime de l’organisme […] qui fait réel et qui est vrai­ment sur le pour­tour [4] », et qui rate à se saisir.

Dans son livre Le Consentement, Vanessa Springora témoigne com­bien ce che­min a été long et déli­cat – jon­ché de moments au bord du gouffre – pour trou­ver la voie pour dire sans obscénité.

Le légis­la­teur se trouve inter­pel­lé : que fait la jus­tice ? Les textes de loi essaient d’attraper ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. L’acte de juger est com­plexe. Il implique « l’intime convic­tion » pré­cise le texte de la loi, dans lequel ne figure pas le terme de véri­té. Comme l’indique Lacan, la véri­té ne peut pas se dire toute. Il ajoute que cha­cun est ame­né à l’attraper par le prisme de son fan­tasme ; la véri­té est alors menteuse.

La jus­tice pénale traite de ce qui fait la com­plexi­té de l’humain : elle juge les trans­gres­sions sexuelles. Et, elle est dépo­si­taire à ce titre, de ce qui se dit de ce qui s’éprouve de plus intime dans un corps et des passions.

Après avoir intro­duit le terme « inceste » dans ses textes, elle intro­duit ceux de « consen­te­ment » et « dis­cer­ne­ment ». Avec ces termes, elle ten­te­rait d’introduire une prise en compte de la dimen­sion de la capa­ci­té et de la liber­té de choix chez les enfants, tout en le consi­dé­rant comme un sujet à pro­té­ger par prin­cipe. À l’heure où les jouis­sances pri­vées s’exposent au grand public notam­ment sur la toile, d’un côté l’enfant expo­sé est plus que jamais à pro­té­ger, et de l’autre, il est à entendre dans les choix – par exemple de genre – qu’il s’autorise par­fois très tôt. Comment les textes de loi se débrouillent de ces trois termes mal assor­tis : consentement-discernement-protection ? Ils intro­duisent des seuils d’âge.

À l’époque du contrat d’objectifs qui accom­pagne le pro­jet de vie de l’enfant où « consen­te­ment » et « auto­no­mie » sont des signi­fiants maître, les théo­ries neuro-développementales sur les stades d’acquisitions se proposeraient-elles comme prêt-à-penser au maître moderne qui rêve d’ef­fi­ca­ci­té et d’une parole sans mal­en­ten­du ? Les stades d’acquisition ne sau­raient ser­vir à dire ce qu’est le déve­lop­pe­ment psy­chique de l’enfant tant il est com­plexe, car consti­tué, sou­ligne Freud, d’un « assem­blage de dif­fé­rentes sources [5]», avec des moments de fixa­tions, de dépla­ce­ments, de rema­nie­ments et com­porte, au-delà des méta­mor­phoses de la puber­té, une part d’inachevé. Par ailleurs, les signi­fiants maîtres « consen­te­ment » et « auto­no­mie » laissent l’enfant ou l’adolescent Un tout seul aux prises avec les ques­tions de moti­va­tion, d’intention, de volon­té, qui ont des affi­ni­tés avec un sur­moi féroce. Or, le consen­te­ment n’est pas un « oui volon­taire et uni­voque, éma­nant de quelque sujet auto­nome [6]».

*Après coup d’une soi­rée de l’Atelier de recherche de l’IE à Lyon, à par­tir de la pré­sen­ta­tion de la lec­ture de Lolita de V. Nabokov par Natacha Billouard, psy­cho­logue – groupe « Petit Hans » et J‑M. Fayol-Noireterre, magis­trat hono­raire – CIEN à Lyon.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XII, « Problèmes cru­ciaux pour la psy­cha­na­lyse », leçon du 12 mai 1965, inédit.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son inter­pré­ta­tion, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, La Martinière, 2013, p. 537.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 85.

[4] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. L’Être et l’Un », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris VIII, cours du 9 mars 2011, inédit.

[5] Freud S., Trois essais sur la théo­rie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 93.

[6] C. Alberti, « Liminaire », Ornicar ?, n°54, Consentir, Paris, Champ freu­dien, 2020, p. 5.

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