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Être et identité

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Par Éric Zuliani

1ère par­tie

UNE QUESTION ÉTHIQUE

La dif­fé­rence des sexes se carac­té­rise avant tout par l’existence de ce qu’on appelle des rela­tions amou­reuses, sexuelles, pre­nant la forme de comé­die des sexes, de drame parfois.

L’institution est une scène

Comédie dans le sens où ces rela­tions se déroulent sur une scène, celle des romans, du théâtre ou du ciné­ma, mais aus­si sur l’Autre scène, terme freu­dien pour dési­gner l’inconscient. Sur celle-là le sujet ne sait pas ce qu’il désire, dédouble ses objets, qui se méta­pho­risent, se méto­ny­misent, créant des fic­tions qui ratio­na­lisent une impasse réelle : il n’y a pas de rap­port sexuel ; c’est-à-dire ni rap­port direct avec son propre corps, ni rap­port éta­bli avec le corps de l’Autre. Dans les ins­ti­tu­tions, cette scène ne manque pas : sou­hai­tée par tel jeune quand il me confie vou­loir dis­cu­ter avec la jeune fille, c’est-à-dire prendre le risque d’entrer dans le mal­en­ten­du ; scène par­fois vécue par cette jeune lors des moments infor­mels, lieu d’intrigues dues à ce même mal­en­ten­du : elle aime un gar­çon et pour­tant il la mal­traite. Lorsqu’on est pra­ti­cien en ins­ti­tu­tion et que nous rece­vons des sujets – même ins­crits dans la période sociale appe­lée l’enfance –, il faut avoir en tête un élé­ment qui va contre le sens com­mun : que l’impasse sexuelle est le secret des symp­tômes et des fic­tions qui lui sont inhé­rents. Ces fic­tions, par­fois tapa­geuses, bruyantes ne sont donc pas le pro­blème mais une réponse à cette impasse sexuelle.

Une vacuole à instituer

Pour per­mettre au symp­tôme et à ces fic­tions d’être accueillis, il faut refaire, pour cha­cun des cas, le geste inau­gu­ral de Freud avec les jeunes femmes qu’il ren­con­tra au tour­nant du siècle der­nier : lais­ser par­ler. Laisser par­ler n’est pas faire par­ler, encore moins faire taire. Freud a lais­sé par­ler, et s’est débar­ras­sé du même coup de toute fonc­tion d’autorité de maitre, y com­pris de celle qui vise­rait une édu­ca­tion. Il inven­ta ce lieu de l’analyse où on laisse par­ler un sujet sans qu’une quel­conque auto­ri­té exté­rieure n’y fasse obs­tacle, sauf l’impossible à dire. Ce fai­sant, tel jeune a pu m’apprendre quelque chose sur l’usage des écrans : qu’ils ne relèvent pas du registre de l’avoir – les avoir ou pas selon un tem­po défi­ni par le maitre, mais qu’ils sont avant tout pour lui une ten­ta­tive de savoir ce qu’il est. Lorsqu’on tra­vaille en ins­ti­tu­tion la créa­tion de ce lieu alpha est peut-être moins aisée. Et pour­tant : il est ce lieu, comme en témoi­gnait un jeune, où l’on res­pire. C’est une vacuole, c’est-à-dire un petit endroit où règne un vide pour dire et résoudre le pro­blème qui se pose à cha­cun d’être à la fois consti­tué de mots, mais aus­si fait de chair. Ce n’est pas tant que ces jeunes ne dis­posent pas des codes – qui les a ? –, mais plu­tôt qu’ils cherchent à nouer ce qu’ils sont comme langue avec ce qu’ils sont comme chair. En ins­ti­tu­tion nous pou­vons consta­ter les consé­quences de ce nœud défait : mise en conti­nui­té de la langue et de la chair où l’insulte, le gros mot se font sub­stance ; corps pul­sion­nel tra­ver­sé d’éléments de lan­gage, folles paroles sans objet capitonnant. 

Un réel, une éthique

Sur la dif­fé­rence des sexes, Freud est par­ti d’une expé­rience simple : expé­rience visuelle du jeune enfant pro­dui­sant une image du corps, le sien et celui des autres, qui peut être iden­tique à lui ou dif­fé­rente de lui. L’enfant, par ce biais, mène une expé­rience gui­dée par la com­pa­rai­son, répar­tis­sant le « même » et le « dif­fé­rent », médiée par la parole, comme fait telle jeune fille à pro­pos de la dif­fé­rence qu’elle per­çoit entre gar­çons et filles : les gar­çons ceci, la fille cela, etc. Après un long par­cours et fai­sant le point sur ses séances, tel gar­çon sou­li­gne­ra cette dicho­to­mie qui le hante, entre son goût pour « les filles de sexes » qu’il voit par­tout y com­pris en leur absence et les bouts de conver­sa­tions qu’il peut avoir avec telle ou telle. Ce dis­cours sur la dif­fé­rence des sexes, sou­li­gnée par­fois de manière très hard par les jeunes, d’où procède-t-il ? De la langue concrète que parle les gens à un ins­tant T de la civi­li­sa­tion. Il ne pro­cède pas de la bio­lo­gie, ne sou­lève pas le même type de ques­tions dont les réponses se trou­ve­raient dans un manuel de SVT. Le point de départ et les déve­lop­pe­ments de dis­cours des jeunes s’inscrivent dans le registre de la langue com­mune, mais très sou­vent dou­blés d’un pro­pos, d’une ques­tion rele­vant du registre éthique – ce qui se fait et ne se fait pas. Tel jeune fait une liste de ce qui est auto­ri­sé ou non après avoir tou­ché les seins et les fesses des filles. Cela peut être vu comme un para­doxe ; cela peut tout aus­si bien éclai­rer qu’aucun sujet n’échappant au réel, la ques­tion éthique l’assaille. La chose est sou­vent méconnue.

Réel et hors-corps

Les jeunes que nous sommes ame­nés à ren­con­trer en ins­ti­tu­tion sont en effet assaillis. Ils sont le siège d’éléments qui concernent le corps : jouis­sant, sexué. Comme le dit Freud, ils sont pres­sés, comme cha­cun, par une urgence : celle sus­ci­tée par la ren­contre avec une satis­fac­tion qui est trau­ma­tique car para­doxale : elle vous concerne, vous y êtes impli­qué et pour­tant elle n’est pas de vous, tout comme la bombe qui éclate lors d’un atten­tat et qui vous implique trau­ma­ti­que­ment. Ce para­doxe n’en est plus un si nous intro­dui­sons le registre du hors-corps. Peut-être que l’expression « se faire un corps » uti­li­sée sou­vent en ins­ti­tu­tion, doit-elle se com­plé­ter : se consti­tuer « un hors-corps », une sorte de che­val qui fera bien son cha­ri­va­ri par­tout où il veut – on l’aura à l’œil -, mais pas dans le corps. La caté­go­rie du hors-corps qui est, d’une cer­taine manière, le pen­dant de l’inconscient trans-individuel est impor­tante en ins­ti­tu­tion pour lire les inven­tions des jeunes ; c’est en par­tie une cli­nique de l’objet qui n’a aucun sens mais dont on fait usage, par exemple. Langage et satis­fac­tion ne se confondent donc pas avec une quel­conque indi­vi­dua­li­té, mais sont trans-individuels ; ils impliquent l’Autre, son désir, sa jouissance.

FIN PREMIERE PARTIE, la suite dans le pro­chain numéro.

Image : René Magritte, Les belles rela­tions , 1967. Oil on canvas.

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