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La sexuation des enfants : est-ce interpréter le réel du sexe ?

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Par Valérie Bussières

 

Le pre­mier jouir : un hété­ro traumatique

L’irruption de l’excitation sexuelle désar­çonne l’enfant dès son plus jeune âge. Freud, en 1909, avec le cas du petit Hans va le démon­trer et Lacan, des années plus tard, va l’interpréter comme un rap­port au réel. De ces éprou­vés sexuels sur­git l’étrangeté. L’érectile crée l’effraction. Les pre­mières érec­tions à la suite de conduites mas­tur­ba­toires pro­duisent des sen­sa­tions non reliées au corps propre : « C’est une jouis­sance per­çue comme venant du dehors [1]». Lacan explique que cette sexua­li­té n’est pas res­sen­tie comme sienne mais autre : « […] la ren­contre avec leur propre érec­tion n’est pas du tout autoé­ro­tique. Elle est tout ce qu’il y a de plus hété­ro  [2]». Le pre­mier jouir que tente de mettre en mot le petit Hans lui fout la trouille ! L’intranquillité, voire l’angoisse, se pointent. Il n’y a pas de repré­sen­ta­tion pour cer­ner ce jouir, pas de nomi­na­tion pour dire la jouis­sance. La sexua­li­té est trau­ma­tique, car le sexuel fait irrup­tion au moment où l’enfant est dans l’impossibilité de l’adresser à un des­ti­na­taire et de fabri­quer un savoir pour résor­ber ce réel du sexe [3].

Le tra­vail de l’inconscient au secours du réel du sexe

Très tôt, l’enfant tente de dire cette réa­li­té sexuelle. Ce qui vient du pul­sion­nel, il l’adresse à l’Autre, tré­sor des signi­fiants, il cherche un savoir sur ce réel, une signi­fi­ca­tion : « Les pre­mières com­mu­ni­ca­tions rela­tives à Hans datent du temps où il n’avait pas encore tout à fait 3 ans. Il mani­fes­tait alors, par divers pro­pos et ques­tions, un inté­rêt tout par­ti­cu­liè­re­ment vif pour cette par­tie de son corps qu’il était accou­tu­mé à dési­gner du nom de “fait-pipi” [4]». Lacan nous fait part de cette per­plexi­té : « Ce pre­mier jouir se mani­feste, on pour­rait dire, chez qui­conque. […] Ils se disent – Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Et ils se le disent si bien que ce pauvre petit Hans ne pense qu’à ce ça – l’incarner dans des objets tout ce qu’il y a de plus externes […][5]».

Face à ce pre­mier jouir qui le laisse per­plexe, le tout jeune enfant fomente des théo­ries qui tentent de don­ner du sens à ce hors sens. La pre­mière théo­rie qui ordonne ce « fait-pipi » est son uni­ver­sa­lisme. Pour lui tous les êtres humains ont un même sexe, un pénis. La dif­fé­rence sexuelle est igno­rée. Freud note en bas de page : « Pourquoi ces jeunes inves­ti­ga­teurs ne constatent-ils pas ce qu’ils voient vrai­ment, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de fait-pipi ? Pour notre petit Hans nous pou­vons du moins don­ner l’explication com­plète de sa per­cep­tion erro­née. Nous savons qu’il était arri­vé, du fait de soi­gneuses opé­ra­tions induc­tives, à la pro­po­si­tion géné­rale que tout être vivant, en oppo­si­tion aux objets inani­més, pos­sé­dait un fait-pipi. [6]» Le gar­çon met en place des expli­ca­tions sur l’évolution du sexe de la fille pour évin­cer la dif­fé­rence sexuelle. Ce jeune enfant curieux, confron­té à ce jouir du corps, va pour­suivre sa recherche. Cette jouis­sance de l’organe va le mettre au tra­vail. Les objets pul­sion­nels comme le regard et la voix condensent la jouis­sance et sont un relais de la pul­sion épis­té­mo­phi­lique : « Je sup­pose que la finesse de son oreille (celle de Hans) a fort bien per­çu la dif­fé­rence des bruits quand un homme ou une femme urine. [7] ».

Le sujet inter­prète le réel du sexe 

L’investigation sexuelle infan­tile mise en œuvre par ce réel hors sens et dont le désir de savoir est le moteur, va contre cette pas­sion de l’ignorance. « (…) L’enfant par­vient à cette décou­verte que le pénis n’est pas un bien com­mun à tous les êtres qui lui res­semblent [8]». En 1958, Lacan pro­pose un déca­lage avec l’appui lin­guis­tique. Si Freud pro­pose le terme de phal­lus en s’inspirant de la repré­sen­ta­tion de l’or­gane sexuel mas­cu­lin en érec­tion qui pou­vait être un objet de culte dans cer­taines cultures, Lacan, intro­duit le signi­fiant du phal­lus. La dif­fé­rence sexuelle ne repose pas sur la nature mais sur le langage.

Quelques années plus tard, c’est un retour au réel du corps et au pro­ces­sus de sub­jec­ti­va­tion que pro­pose Jacques-Alain Miller. « Comment le pénis – son exis­tence ou son inexis­tence dans le corps – est-il sub­jec­ti­vé ? Pour don­ner à cette ques­tion une réponse élé­men­taire, pré­li­mi­naire, disons qu’il est sub­jec­ti­vé sur le mode de l’avoir, sur le mode d’un j’ai ou sur le mode d’un je n’ai pas. Freud pen­sait que cette sub­jec­ti­va­tion était essen­tielle et déci­sive pour l’orientation du sujet. La sub­jec­ti­va­tion du pénis veut dire qu’il prend une signi­fi­ca­tion [9]». Ainsi le geste de l’enfant face à ce réel du sexe, ce jouir, est celui de l’interprétation.

Jacques-Alain Miller ajoute au sujet de la sub­jec­ti­va­tion du réel du sexe : « Le j’ai est la carac­té­ris­tique de la sub­jec­ti­va­tion mâle de l’organe, c’est-à-dire de ce que l’on peut appe­ler la sexua­tion. Sexuation veut dire sub­jec­ti­va­tion du sexe [10]. La nomi­na­tion « neutre » choi­sie voire reven­di­quée par cer­tains enfants ou ado­les­cents serait donc aus­si une inter­pré­ta­tion, une façon de che­mi­ner quant au jouir.

[1] Lacadée-Labro D., « Du symp­tôme au sin­thome », Lacan-université, janv. 2016, consul­table en ligne

[2] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symp­tôme », La cause du désir, n° 95, 2017, p. 13.

[3] Cf. De Georges C., « Hans, le cas prin­ceps », Les cahiers Cliniques de Nice, n°14, oct 2015, consul­table en ligne.

[4] Freud S., (1909) « Analyse d’une pho­bie chez un petit gar­çon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psy­cha­na­lyses, Paris, PUF, 1967, p. 95–96.

[5] Lacan J., « Conférence à Genève… » op.cit.,  p. 13.

[6] Freud, S., (1909) « Analyse d’une pho­bie chez un petit gar­çon de 5ans… », op.cit.,  p. 98.

[7] Ibidem, p. 137.

[8] Freud S., (1923) « L’organisation géni­tale infan­tile » La vie sexuelle, Paris, PUF, 1995, p. 115.

[9] Miller, J.-A., « L’orientation laca­nienne, De la nature des sem­blants », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du Département de psy­cha­na­lyse de l’université Paris VIII, cours du 12 février 1992, inédit.

[10] Ibid.

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