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Le penisneid à ne pas comprendre trop vite

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par Silvana Belmudes Nidegger

 

Première année à l’université en psy­cho­lo­gie en Uruguay, cours de psy­cha­na­lyse, Freud et son penis­neid dans les Théories sexuelles infan­tiles. Chose que je me suis hâtée de com­prendre, moi qui savais ce qu’était une femme, mon savoir s’est vu ébran­lé avec cette envie du pénis.

Alors, ce terme appa­raît dans « Les Théories sexuelles infan­tiles » avec une pre­mière théo­rie infan­tile consis­tant à « attri­buer à tous les humains, y com­pris les êtres fémi­nins, un pénis[1]». Freud nous dit que mal­gré le fait que cette théo­rie ait un com­po­sant de véri­té, car la petite fille pos­sède un cli­to­ris qui « se com­porte bel et bien, dans l’enfance de la femme, comme un véri­table pénis[2] », la petite fille déve­lop­pe­ra un grand inté­rêt par le pénis du gar­çon, mais « cet inté­rêt se voit aus­si­tôt com­man­dé par l’envie. La petite fille se sent désa­van­ta­gée, elle fait des ten­ta­tives pour uri­ner dans la posi­tion qui est per­mise au petit gar­çon du fait qu’il pos­sède le grand pénis et quand elle réprime ce désir : j’aimerais mieux être un gar­çon, nous savons à quel manque ce désir doit remé­dier[3]». Ce penis­neid signe­rait pour la petite fille le début du com­plexe de cas­tra­tion, ayant comme consé­quence le délais­se­ment de la mère car man­quante, et le détour­ne­ment vers le père avec une demande.

En 1931, dans sa confé­rence inti­tu­lée « La fémi­ni­té », Freud par­le­ra de penis­neid pas seule­ment comme l’envie tenace en tant que telle mais aus­si de désir de pénis, et plus tard dans son texte, de désir de phal­lus : « le désir qu’a la fille de son père n’est sans doute à l’origine que le désir de pos­sé­der un phal­lus, ce phal­lus qui lui a été refu­sé par sa mère et qu’elle espère main­te­nant avoir de son père[4] ». Le penis­neid comme condi­tion pour pou­voir accé­der au désir de phal­lus ? Cette demande adres­sée au père sur­gi­rait donc à un deuxième temps, suite au refus de la mère de ne pas lui don­ner ce, qu’en somme, elle n’a pas. Cet espace vide lais­sé par la perte opé­rée par la cas­tra­tion don­ne­rait lieu au sur­gis­se­ment du désir. Pénis devien­dra Phallus en tant que nom et opé­ra­teur du moteur du désir.

Des années plus tard, Lacan, s’appuyant sur les pré­misses déjà esquis­sées par Freud, va plus loin quant à la ques­tion du phal­lus en y insuf­flant au pas­sage de l’air frais en éle­vant le phal­lus à la qua­li­té de signi­fiant avec une fonc­tion[5]. Plus tard, en 1972, Lacan va uti­li­ser cette fonc­tion du signi­fiant phal­lique comme repère pour écrire son tableau de la sexua­tion. Le sujet, selon son rap­port au phal­lus va se ran­ger du côté homme ou du côté femme du tableau. À l’homme de créer des langues pour par­ler d’amour aux femmes, femmes qu’il ne pour­ra jamais pos­sé­der si ce n’est par le biais de son fan­tasme. À la femme cet énig­ma­tique pas-tout qui désigne un ajout de jouis­sance Autre quant à l’abordage du phal­lus : « seule­ment, toute la ques­tion est là, elle a divers modes de l’aborder, ce phal­lus, et de se le gar­der. Ce n’est pas parce qu’elle-est pas-toute dans la fonc­tion phal­lique qu’elle y est pas du tout. Elle y est pas pas du tout. Elle y est à plein. Mais il y a quelque chose en plus [6]».

Le tableau de la sexua­tion de Lacan déga­ge­rait donc des logiques de modes de jouir par rap­port au phal­lus : le tout phal­lique et le pas-tout phal­lique. Les sujets s’y rangent sans for­cé­ment suivre un déter­mi­nisme ana­to­mique : « à tout être par­lant […] il est per­mis, quel qu’il soit […] de s’inscrire dans cette par­tie (côté femme)[7]». Les sujets avec un vagin peuvent s’orienter de la fonc­tion phal­lique, et des sujets avec un pénis du côté du pas-tout. Avec ceci la pano­plie des pos­sibles s’élargit pour ce qui est de pen­ser la cli­nique. À chaque sujet d’inventer le signi­fiant qui noue­ra le corps avec la jouis­sance, signi­fiant qui se niche à la place vide lais­sée par l’impossible satis­fac­tion de la demande de la petite fille freu­dienne de 1931.

Pourrions-nous dire qu’à chaque sujet son sexe ? Serait-ce cela la sexuation ?

Ces deux années de tra­vail à l’Institut de l’Enfant autour de la sexua­tion des enfants m’ont ensei­gné que le dit tableau de la sexua­tion parle de beau­coup plus que des femmes et des hommes. Femme ou Homme ne seraient donc que d’autres noms pour dire le rap­port sexuel qui n’existe pas, à l’instar du texte de Laurent Dupont[8] où il nous invite à pen­ser la ques­tion des asso­cia­tions mili­tantes LGBTQIA+ en pro­po­sant de conce­voir chaque lettre comme des voiles, des modes de dire le rap­port sexuel qui n’existe pas. Des façons de nom­mer peut-être avec une lettre qui fait com­mu­nau­té, lien social, des façons mul­tiples de faire avec la jouis­sance qui frappe les corps.

Aujourd’hui, des années après je peux dire que fina­le­ment je com­prends beau­coup moins vite qu’avant et que mes cer­ti­tudes par rap­port à ce qu’est la femme ont lais­sé leur place à la ques­tion de ce qu’est une femme.

[1] Freud S., « Les théo­ries sexuelles infan­tiles », La Vie sexuelle, PUF, Paris, 1969, p. 19.

[2] Ibid., p. 21.

[3] Ibid., p. 21.

[4] Freud S., « La Féminité », Nouvelles Conférences sur la psy­cha­na­lyse, Gallimard, 1936.

[5] Lacan J., « La Signification du phal­lus », Écrits, 1958, Seuil de poche, 1966, p. 168.

[6] Lacan J., Le sémi­naire, livre XX, Encore, Texte éta­bli par Jacques-Alain Miller, Seuil, Paris, 1975, p. 69.

[7] Ibid., p. 74.

[8] Cf. Dupont L., « Retour sur la petite dif­fé­rence », publié le 15 février 2021 sur le blog de l’Institut de l’Enfant, https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​z​a​p​p​e​u​r​-​j​i​e​6​/​r​e​t​o​u​r​-​s​u​r​-​l​a​-​p​e​t​i​t​e​-​d​i​f​f​e​r​e​n​ce/