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Le sujet s’affecte d’un sexe et s’en trouve aphligé – 2ème partie

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par Philippe Lacadée

La preuve de l’inconscient par le symptôme.

Dans sa confé­rence de Genève, en 1975, Lacan fran­chit un pas consi­dé­rable en affir­mant que « l’inconscient est une inven­tion au sens où c’est une décou­verte qui est liée à la ren­contre que font avec leur propre érec­tion cer­tains êtres »[1]. Il pro­pose là une nou­velle défi­ni­tion de l’inconscient liée à la ren­contre avec ces modes de jouis­sance actuels. C’est à par­tir de ces expé­riences de jouis­sance liées aux pul­sions par­tielles que l’enfant va ten­ter de répondre à la for­clu­sion du rap­port sexuel dans l’inconscient, c’est-à-dire au fait que l’Autre ne dit rien, fait silence, sur l’enjeu de sa jouis­sance mais aus­si sur celle du couple gar­çon / fille.

Toutes les élu­cu­bra­tions de l’enfant que Freud a décou­vertes, sous le terme de « théo­ries sexuelles infan­tiles », sont autant d’efforts du sujet pour rompre le silence sur ce point. Ce sont des ten­ta­tives pour dire, pour repré­sen­ter la rela­tion des corps sexués à par­tir des pul­sions par­tielles. Là où l’Autre ne dit rien, l’enfant invente et ses inven­tions, ses tru­cages ne partent pas de rien.

Mais dans ce même texte, Lacan donne aus­si une autre défi­ni­tion de l’inconscient, plus clas­sique, comme une hypo­thèse : « c’est la façon qu’a eue le sujet, si tant est qu’il y a un sujet autre que divi­sé, d’être impré­gné, si l’on peut dire, par le lan­gage »[2]. Dans cette défi­ni­tion l’inconscient appa­raît comme un savoir venant de l’Autre, véhi­cu­lé par le lan­gage. Il fau­dra alors se deman­der com­ment la sexua­li­té s’y ins­crit dans les défi­lés du signi­fiant. On ver­ra que c’est dans cet incons­cient qu’il y a la réfé­rence cen­trale du phal­lus, comme pre­mière ins­crip­tion du sexe dans l’Autre du lan­gage. C’est dans cet Autre qu’il y a tous les idéaux du sexe rece­lés, les normes dépo­sées dans le lan­gage, trans­mises par les parents. Il y a des pres­crip­tions dans l’Autre qui disent ce qu’il faut faire comme gar­çon ou comme fille, non au niveau sexuel, c’est-à-dire au niveau de la jouis­sance, mais au niveau des conduites sociales, c’est-à-dire au niveau des iden­ti­fi­ca­tions. C’est là où, aus­si, s’inscrit le couple par­ti­cu­lier que forme père et mère, pre­mier couple de signi­fiants que Freud essaie de cer­ner par le com­plexe d’Œdipe. Si ce couple est bien un couple sexué, il ne s’inscrit dans l’inconscient du sujet que sim­ple­ment selon la fonc­tion iden­ti­fi­ca­toire de l’ordre de la signi­fi­ca­tion phal­lique. Ceci est à bien dis­tin­guer d’aucun signi­fiant de la jouis­sance sexuelle.

Cette par­ti­tion entre deux défi­ni­tions de l’inconscient résonne avec ce « drame d’essence » qu’est pour le par­lêtre la divi­sion entre « le désir qui vient de l’Autre et la jouis­sance qui est du côté de la Chose »[3], en tant que ce qui advient au corps comme jouis­sance échappe à sa néan­ti­sa­tion par le signifiant.

Ainsi, c’est ce pre­mier jouir du corps, qua­li­fié par Lacan de « tout ce qu’il y a de plus hété­ro », qui l’a ame­né à une double défi­ni­tion de l’inconscient.

 

Une jouis­sance hétérogène.

S’il parle à cette occa­sion de jouis­sance hété­ro­gène, c’est pour indi­quer que cette jouis­sance ne relève pas de l’Autre mais mais de l’Un. Cette jouis­sance étran­gère vient faire effrac­tion au niveau de l’unité du corps de l’enfant qui fait pour lui ren­contre avec le sexuel. Cette jouis­sance indique ain­si que lorsqu’il s’agit du sexe, il est tou­jours ques­tion de l’Autre sexe, c’est-à-dire du sexe comme radi­ca­le­ment Autre pour le sujet. La ques­tion ici est de savoir com­ment le sujet se débrouille­ra avec l’hétéro qui lui fout la trouille. Lacan pré­cise cet aphli­gé « réel­le­ment d’un phal­lus qui est ce qui lui barre la jouis­sance du corps de l’Autre »[4].

Nous avons la ver­sion de Hans qui s’en sort par le symp­tôme. Pour faire sens, il appelle le che­val, lequel lui per­met d’apprivoiser l’hété­ros, de le nom­mer et de le loca­li­ser. Grâce au che­val, Hans donne à sa jouis­sance une enve­loppe de sem­blant. Le symp­tôme de Hans, dit Lacan, « c’est l’expression de ce rejet ». Il s’agit, ici, pour lui du rejet de l’hété­ros que le sexe comporte.

Avec cette notion d’hétérogène, Lacan éclaire d’une nou­velle façon, à par­tir de la jouis­sance, le rap­port trau­ma­tique du sujet au sexe dans le sens où le sujet vit ça comme quelque chose d’étranger. La sexua­li­té, pré­cise Lacan, est tou­jours trau­ma­tique en tant que telle. Pourquoi ? Parce que le sujet constate sou­dai­ne­ment qu’il y a un petit organe qui bouge, mais que sur­tout il veut lui don­ner un sens. Lacan pré­cise : « Mais aus­si loin qu’aille le sens, aucun petit gar­çon n’éprouve jamais que ce pénis lui soit atta­ché natu­rel­le­ment. Il consi­dère tou­jours le pénis comme trau­ma­tique »[5]. Par trau­ma­tique, Lacan va dire que le sujet pense que ce petit organe appar­tient à l’extérieur de son corps ; c’est pour ça qu’il le regarde comme une chose sépa­rée, comme un che­val qui bouge.

 

Ça fait trou dans le sens la joui-sens hétérogène

Le sujet est alors assi­gné à se trans­for­mer en cher­cheur pour répondre à cette sol­li­ci­ta­tion, répondre à la ques­tion : « Qu’est-ce que c’est que ça ? ». Nous avons là une par­tie du corps qui n’en fait qu’à sa tête et dérange le sujet au point de lui assi­gner des tâches d’investigation liées à la pul­sion sexuelle. Le sujet freu­dien, ce par­lêtre, c’est ain­si ce sujet mythique qui, face à ce trou du sens, devient un cher­cheur infa­ti­gable, mais sur­tout un cher­cheur contraint par la demande pulsionnelle.

Cet inves­ti­ga­teur, c’est le sujet du signi­fiant, c’est celui pour qui la réa­li­té est orga­ni­sée par le sym­bole. Pour lui, ce qui existe, existe d’avoir un nom. Or, ce jouir, l’Autre sym­bo­lique n’en donne pas le nom, il n’a pas les mots pour dire cette jouis­sance. C’est pour cela que le sujet va inter­ro­ger l’Autre pour y loger cette mani­fes­ta­tion hété­ro­gène de son sexe. Il n’a pas encore réus­si à le « domp­ter avec des mots ».

Lacan avait déjà fait remar­quer ce point par rap­port au stade du miroir. Il y a dans le miroir une éli­sion de ce que le sujet éprouve au niveau de cette sen­sa­tion, de cette jouis­sance. Quelque chose là, qui concerne le phal­lus, n’est pas spé­cu­la­ri­sable, d’une telle manière que cela pro­duit dans le miroir un trou, une élision.

Freud insiste sur la contrainte impo­sée par ce jouir : « La force motrice que cette par­tie virile déploie­ra plus tard à la puber­té se mani­feste à cette époque comme besoin pres­sant d’investigation »[6]. Il y est pous­sé parce que jus­te­ment cette par­tie du corps ne par­ti­cipe pas à la déser­ti­fi­ca­tion de la jouis­sance que pro­duit la prise de l’organisme dans le signi­fiant. Le sexe, ici comme sexus, est ce qui vient faire cou­pure dans le corps entre ce qui de l’organisation de l’organisme est pris dans le signi­fiant et ce qui en échappe, n’en fait qu’à sa tête et dérange le sujet.

Si on consi­dère le sexe à ce niveau-là, on sai­sit qu’il y a là l’introduction de quelque chose qui ne peut pas être pré­sen­té dans l’inconscient, sinon de façon a‑sexuelle. C’est quelque chose de la jouis­sance qui témoigne déjà, là, du non-rapport sexuel, c’est-à-dire de quelque chose qui ne se rap­porte pas, qui fait trou du sens.

Il y a là absence de savoir sur le rap­port sexuel, le symp­tôme venant ici comme réponse – par exemple, le symp­tôme pho­bique de Hans. Hans pro­cède comme tout homme qui aurait la « trouille » de ce qui pré­sen­ti­fie l’Autre sous les espèces d’une fille : il la méta­bo­lise en symp­tôme. Si l’homme fait d’une femme son partenaire-symptôme, c’est pour cer­ner par le biais de l’Un de la lettre ce qui chez une femme n’est pas sus­cep­tible d’être comp­té comme Un.

Comment faire entendre la pul­sion d’investigation de ce cher­cheur nous ensei­gnant sur l’invention de ses théo­ries sexuelles pro­dui­sant le savoir de l’enfant ?

 

[1] Lacan J, Conférence à Genève sur le symp­tôme 1975, La cause du désir, n° 95, Navarin 2017, p. 13.

[2] Ibid., p. 11.

[3] Lacan J., « Du “Trieb” de Freud et du désir du psy­cha­na­lyste », op. cit., p. 853.

[4] Lacan J, « RSI », inédit, leçon du 11 mars 1975.

[5] Lacan J., « Conférences et entre­tiens dans des uni­ver­si­tés nord-américaines », Scilicet, n° 6 / 7, Seuil, p. 23.

[6] Freud S., op. cit., p. 115.

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