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L’impasse sexuelle

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Par Jean-Louis Gault

 

L’impasse sexuelle sécrète les fic­tions qui ratio­na­lisent l’impossible dont elle provient.

Je ne les dis pas ima­gi­naires, j’y lis comme Freud l’invitation au réel qui y répond.

Lacan J.  « Télévision » Autres écrits

 

 

Une séance ultra courte

Examinons le moment où émerge chez un sujet l’impasse du sexe et voyons com­ment trouve à s’incarner ce que Lacan appelle la clinique-structure dans le cas d’une toute jeune femme en ana­lyse au moment où la struc­ture du sujet se fait drame. Elle a cinq ans et natu­rel­le­ment vient ren­con­trer l’analyste accom­pa­gnée par ses parents. La mère explique qu’ils sont venus consul­ter parce que leur fille fait des crises et se roule par terre pour un oui, pour un non. Le père donne sa ver­sion : elle ne sup­porte pas la frus­tra­tion. Et la jeune per­sonne, serait-elle d’accord pour res­ter avec moi ? Je vou­drais lui mon­trer quelque chose. Elle mani­feste en larmes un refus opi­niâtre. Je coupe court à ce très bref entre­tien, et je lui pro­pose de la revoir la semaine suivante.

 

Un des­sin

Au jour dit le père et la fille sont dans la salle d’attente. D’un petit signe de la tête j’invite celle-ci à me suivre, ce qu’elle fait d’un pas assu­ré, munie d’un petit porte-monnaie sub­ti­li­sé au père. J’avance la ques­tion de savoir si elle serait prête à faire un des­sin. Elle accepte sur le champ et demande un crayon noir, un rouge et un autre rose.

Elle com­mence à des­si­ner dit-elle, « un bon­homme ». Elle trace les deux jambes d’un pan­ta­lon qu’elle s’emploie à colo­rier en rose. Puis elle dit : « c’est une fille » et s’empare du crayon noir pour des­si­ner au niveau de l’entrejambe du per­son­nage une grosse masse arron­die qu’elle colo­rie en noir. Je lui demande ce que c’est que cette tâche noire. Elle me regarde l’air nar­quois, sans répondre, et me voi­là à la ques­tion. Je reste coi. Au bout d’un moment elle me tire de mon silence en déco­chant ce trait : « C’est sa culotte ! » pour me faire com­prendre : « Ben voyons tu ne sais donc que ce que c’est qu’une fille ! ». Ensuite elle reprend son des­sin pour dire à nou­veau : « c’est un bon­homme », puis : « c’est une fille », et cette fois pour qu’on com­prenne bien de quoi elle parle elle ajoute « du rouge à lèvres » et écrase d’un trait épais de cou­leur rouge la bouche du per­son­nage. Sur ce je clos la séance. Désormais cette jeune hys­té­rique déci­dée accepte de pour­suivre la partie.

La suite est conte­nue en germe dans cette séquence inau­gu­rale où l’on voit le sujet s’extraire du face à face phal­lique avec le père pour déployer sa ques­tion sur le sexe, si tant est que, comme l’écrit Lacan : « L’incertitude à l’endroit du sexe propre est jus­te­ment un trait banal dans l’hystérie [1]» . Que s’est-il pas­sé ? Il est remar­quable que ce jeune sujet pré­sen­té par ses parents affec­té de ce symp­tôme : « Elle fait des crises, elle se roule par terre », lorsqu’elle est invi­tée à prendre la parole énonce clai­re­ment ce qui l’agite, soit « l’énigme de son sexe sou­dain actua­li­sée [2] ». C’est ain­si que s’exprime Lacan quand il inter­prète le cas de pho­bie infan­tile de Hans. Hans avait peur du che­val qui se roule par terre. Elle, elle prête son corps à la for­ma­tion du symp­tôme. Elle se roule par terre en proie à une jouis­sance phal­lique récal­ci­trante. Lacan rele­vait que Hans s’affrontait à l’énigme de la tâche noire sur la bouche du che­val. Cette tâche noire résis­tait à l’analyse conduite par Freud. Ici le geste de notre patiente est sans équi­voque. Elle ne des­sine pas un trait ver­ti­cal, attri­but phal­lique, entre les jambes du per­son­nage, comme le fait Hans dans son des­sin de la girafe. Elle place la tâche noire à l’endroit du corps où s’articule sa question.

 

Le signi­fiant et le reste

Le déran­ge­ment dont témoigne les symp­tômes de la jeune patiente, tra­duit « le rap­port de tra­vers qui sépare le sujet du sexe [3]» comme le men­tionne Lacan dans son écrit Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir. L’embarras où elle se trouve devant l’énigme du corps sexué, où elle balance entre gar­çon et fille, dit la faillite du signi­fiant quand il s’agit de repré­sen­ter la bipo­la­ri­té du sexe. Dans son écrit Position de l’inconscient, Lacan for­mule ain­si l’impasse du sexe : « Il n’est d’autre voie (que celle de la pul­sion) où se mani­feste dans le sujet l’incidence de la sexua­li­té. La pul­sion en tant qu’elle repré­sente la sexua­li­té dans l’inconscient n’est jamais que pul­sion par­tielle. C’est là la carence essen­tielle, à savoir celle de ce qui pour­rait repré­sen­ter dans le sujet, le mode de son être de ce qui est mâle ou femelle », et plus loin il ajoute ceci : « Ce que notre expé­rience démontre de vacilla­tion dans le sujet concer­nant son être de mas­cu­lin ou de fémi­nin, n’est pas tel­le­ment à rap­por­ter à la bisexua­li­té bio­lo­gique, qu’à ce qu’il n’y a rien dans sa dia­lec­tique qui repré­sente la bipo­la­ri­té du sexe [4]».

Notre jeune ana­ly­sante n’est pas dépour­vue de recours au regard de ce vide sym­bo­lique. Elle démontre brillam­ment son usage du Witz. A la ques­tion pro­saïque de l’Autre : « Qu’y‑a-t-il dans l’entrejambe du sujet » elle répond maligne : « Une culotte ! ». La culotte a une fonc­tion, elle masque la tâche noire qui signale le défaut du signi­fiant à l’endroit de l’énigme du sexe. Les sexes sont deux, l’image du corps s’impose comme un réel, mais le sym­bole défaille quand il s’agit de nom­mer l’être sexué. Lacan n’a ces­sé de se poser la ques­tion de savoir com­ment le sujet sur­mon­tait cette impasse. Il en est ain­si venu à conce­voir une sin­gu­lière logique de la sexua­tion où, le pré­di­cat phal­lique qui était cen­sé, selon Freud, répar­tir cha­cun des deux sexes, se trouve dou­blé d’un dire que non où s’affirment deux posi­tion sub­jec­tives. Exception côté mâle, pas-tout sur le ver­sant féminin.

Mais cette toute jeune femme sait déjà que dans l’ordre sexuel, il ne suf­fit pas d’être, il faut encore paraître. Le rouge à lèvres vient alors comme sem­blant fémi­nin, voi­ler et mani­fes­ter à la fois le réel d’une jouis­sance dif­fuse et insi­tuable. Pendant la séance, quand elle n’est pas occu­pée à des­si­ner, elle met dans sa bouche les doigts des deux mains pour écar­ter dans tous les sens les deux lèvres de sa bouche.

 

Sur l’Autre scène

La cou­pure inau­gu­rale, qui a consis­té à clore sans appel la pre­mière séance, a lais­sé le champ libre à la pro­tes­ta­tion du sujet, logée dans son symp­tôme. Dès lors, une autre scène se dégage où une ren­contre est pos­sible. Lors de la seconde séance, notre aimable rusée s’avance au pas de charge et affiche sa divi­sion face au maître, elle consent à livrer une part de son inti­mi­té en réa­li­sant un des­sin qu’elle assor­tit d’un bref com­men­taire. C’est pour mettre le maître au défi de pro­duire un savoir sur sa véri­té, en lui sou­met­tant l’énigme de la tâche noire. Mais l’analyste se tait, alors c’est à elle d’y aller et elle crache ce pre­mier signi­fiant maître : la culotte.

Quelle est l’interprétation qui ponc­tue le dis­cours du sujet ? L’analyste se tait et inter­rompt la séance sans plus d’explication. Le sujet repart char­gé du poids de ce qu’il vient de concé­der au désir de cet Autre énig­ma­tique. Toute inter­ven­tion bavarde de l’analyste, dans ces cir­cons­tances, n’aurait pu qu’être inop­por­tune, dans la mesure où elle n’aurait eu pour effet que de sou­la­ger le sujet du poids de ses paroles, en don­nant, un sens pré­ma­tu­ré à ce qu’elle s’est sur­prise à dire à son grand dam.

 

[1] Lacan J., « D’une ques­tion pré­li­mi­naire a tout trai­te­ment pos­sible de la psy­chose », Écrits, Seuil, 1966, Paris. p. 546.

[2] Lacan J., « La signi­fi­ca­tion du phal­lus », op. cit., p. 519.

[3] Lacan J., « Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir », in op. cit. p. 799.

[4] Lacan J., « Position de l’inconscient », op. cit., p. 849.

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