Par Jean-Marie Fayol-Noireterre*
La réflexion sur la sexuation, la sexualité des enfants peut poser une question au droit : qu’en dit-il ? À partir de la question : à quel âge un jeune est-il libre de son corps ? Cette question complexe ouvre à bien des débats, réactualisés par la parution des livres de Vanessa Springora « Le consentement » et plus récemment de Camille Kouchner « La familia grande ». À quel âge un jeune est-il libre de son corps pour une relation physique avec autrui ? Autrement dit : quand peut-il consentir à un rapport physique ? Et s’il y a une atteinte sexuelle non consentie, que risque l’agresseur et quel délai pour le juger ?
Majorité sexuelle
Être majeur, c’est la capacité d’accepter ou de refuser un acte, de prendre un engagement. L’âge du mariage, qui était de quinze ans pour les femmes et de dix-huit ans pour les hommes est pour les deux genres de dix-huit ans depuis une loi de 2005. Pour les actes de la vie civile, la majorité est à dix-huit ans depuis 1974 (vingt-et-un ans auparavant), comme la majorité pénale (seize ans avant 1906).
La majorité « sexuelle » est l’âge à partir duquel tout individu peut valablement consentir à des actes – des relations sexuelles – avec une personne mineure ou majeure. Elle n’est pas déterminée par la loi mais découle du code pénal qui réprime d’une peine d’emprisonnement [1] l’atteinte sexuelle (contact physique, attouchements, baisers) d’un majeur « sur un mineur de quinze ans, sans violence, contrainte, menace ou surprise ». En est déduit, a contrario, qu’une conduite sexuelle, « sans violence, contrainte, ni menace ni surprise » d’un mineur de plus de quinze ans avec une personne n’est pas interdite par la loi, et pose ainsi la majorité sexuelle du jeune, à l’âge de quinze ans [2]. Ce qui postule la capacité de donner son consentement.
La loi est significative de l’évolution des mœurs. Ainsi, on peut relever une évolution historique : avec le même raisonnement, la majorité sexuelle était à onze ans en 1832, à treize ans en 1863, et à quinze ans depuis 1945. De 1945 à 1982, ces atteintes entre personnes du même sexe étaient punissables jusqu’à dix-huit ans : majorité différente pour les homosexuels. La coïncidence entre majorité civile et sexuelle se pose de nouveau dans le débat actuel sur l’inceste dont le terme figure depuis 2010 dans le code pénal (dans le texte de la loi.), étant précisé qu’une loi du 3 aout 2018 étend la qualification d’inceste aux victimes de tout âge.
Entre consentement et discernement
La loi du 3 aout 2018 tente de préciser la contrainte morale ou la surprise sur un mineur de dix-huit ans : elles peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et le soupçonné, et de l’autorité de fait qui résulterait d’une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur. Cette loi ajoute que pour un mineur de quinze ans la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. C’est la première fois qu’apparait la notion de discernement, capacité de l’enfant qui est laissée à l’appréciation des juges.
Certains souhaitent ainsi que la loi définisse un seuil d’âge qui poserait un interdit : celui des relations sexuelles avec « un enfant », sans appréciation du juge. La notion de consentement pour les infractions sexuelles serait alors posée : à moins de quinze ans, le mineur ne serait pas en mesure de consentir à une conduite sexuelle, il serait obligatoirement considéré comme non-consentant. Ce serait une présomption dite irréfragable, indiscutable. Opter pour une présomption irréfragable est un choix socio-politique qui remet en cause la liberté d’appréciation laissée aux juges, lesquels jugent selon leur « intime conviction » ; ce choix implique un rapport nouveau à la vérité.
Il y a, de plus, une discussion sur le discernement de l’auteur mineur délinquant, de droit commun, ou sexuel : le seuil d’irresponsabilité, de discernement du mineur n’est pas défini en droit pénal français. Il est question actuellement de fixer l’âge du discernement à treize ans dans un projet de loi.
L’acte de juger est complexe et implique de prendre en compte la réalité des faits et des personnes, tant pour le soupçonné que pour celui qui subit les faits [3]. Et s’il est souvent dit que la victime doit démontrer son non-consentement, la loi pose l’exigence de violence, de surprise, de contrainte du soupçonné : on apprécie sa culpabilité, et non celle de la victime.
La Convention internationale des droits de l’enfant pose, elle, la liberté d’opinions, d’expressions de l’enfant : elle exige de « favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant […] de ses aptitudes mentales et physiques ». Se pose alors la question de la valeur accordée à la parole de l’enfant, comme celle de Sasha, (petit garçon qui se dit fille), par exemple dans le documentaire « Petite fille » en matière de genre.
Ne doit-on pas garder la possibilité d’adapter les décisions à la personnalité de l’enfant, et à l’exercice de sa liberté de choix dans le respect de son évolution ?
Prescription
Quelques mots d’actualités sur la prescription qui est la date au-delà de laquelle l’auteur d’une infraction ne peut plus être poursuivi devant un tribunal. La règle générale est de six ans pour les délits, vingt ans pour les crimes, à partir de la date des faits.
Il existe des règles particulières pour les infractions sexuelles. Successivement, les lois ont prolongé ce délai. Aujourd’hui la règle pour ces infractions de vingt ans pour les délits et de trente ans pour les crimes à compter de la majorité de la victime. Ce qui veut dire qu’un viol dénoncé par une victime de six ans sera prescrit quarante ans après. Certains demandent l’imprescriptibilité de ces infractions. La prescription, se fonde, dans tous les droits, sur l’oubli ; son allongement rend difficile, voire impossible la réunion de preuves, nécessaires au jugement, mais donne le droit à la victime de se souvenir et/ou de porter plainte tardivement.
C’est un débat important dans une société victimaire, où les règles sont définies par les besoins supposés des victimes d’une reconnaissance judiciaire, ou d’une peine.
Pour conclure, les projets de lois actuels protègent les mineurs victimes d’infractions sexuelles : si la majorité sexuelle est à ce jour fixée à quinze ans, la prise en compte de la contrainte, ou de la surprise protège les mineurs de moins de quinze ans et jusqu’à dix-huit ans. Mais qu’en est-il de leur liberté ?
*Magistrat honoraire.
[1] Sept ans d’emprisonnement encouru.
[2] Article 227–25 code pénal : Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, ni menace ni surprise, une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende.
NB mineur de quinze ans = moins de quinze ans
[3] – une atteinte sexuelle sans violence par un ascendant, ou une personne ayant autorité est punissable jusqu’à l’âge de dix-huit ans du mineur (délit : dix ans d’emprisonnement encouru)
- une agression sexuelle, atteinte sexuelle sans pénétration, mais avec violence, contrainte, menace ou surprise”, est un délit (sept à dix ans encourus) quel que soit l’âge de la victime, le jeune âge de la victime aggravant la peine encourue, ou si le soupçonné est un ascendant ou une personne ayant autorité.
- un viol (crime de quinze à trente ans encourus) : acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, avec violence, contrainte, menace ou surprise ; la peine est aggravée si la victime a moins de 15 ans.
- une nouvelle catégorie depuis la loi du 8 février 2010 : le viol ou l’agression “incestueux ” (avec une énumération des liens avec la victime) : nouvelle qualification, et mêmes peines.