Par Sarah Camous-Marquis
Une femme, ma mère
Il y a une résonance entre le thème « La sexuation des enfants » et les questions que nous avons mises au travail au CPCT-parents [1].
La sexuation de l’enfant s’inscrit dans les coordonnées de son histoire comme enfant de ses parents. L’enfant rencontre, au-delà de l’amour, leur manque et leur jouissance. La rencontre avec la jouissance de la mère constitue un réel pour l’enfant. Il reste à repérer, au cas par cas, comment la jouissance se conjugue à la maternité ; mère et femme sont « à la fois disjonction et connexion [2] ». La jouissance du père, quant à elle, se décline de différentes façons : fait-il de sa femme un objet a, cause de son désir ? Ou bien, « faute d’admettre le particulier du désir chez l’Autre sexe, le père écrase[-t-il], chez l’enfant, le sujet sous l’Autre du savoir ? [3] » La voie de subjectivation qui s’ouvre pour l’enfant n’est alors pas tout à fait la même. Jacques-Alain Miller indique que « le père, le faux père, contraint d’autant plus cet enfant à trouver refuge dans le fantasme maternel, le fantasme d’une mère niée comme femme. [4] »
Puisque la sexuation est « subjectivation du sexe [5] », on peut gager que l’affaire sera plus complexe dans ce cas.
La sexuation de l’enfant s’articule donc à la façon dont ceux qui répondent du nom de père et de mère ont eux-mêmes répondu au réel du féminin.
La nomination a‑t-elle changé ?
L’ère de « l’évaporation du père [6] », dont parle Lacan, est propice aux nouvelles nominations et produit de nouvelles embrouilles. Nicole Borie note que « Parler de sexualité passe aujourd’hui par l’égalité. [7] » Alors, « Quid de la différence ? [8] » Les effets du gommage du particulier, pourtant central, interrogent aussi la clinique du CPCT-parents. L’avènement du néologisme « parentalité » en est un exemple. Le binaire traditionnel père/mère tombe en désuétude sans que la tentative d’égalité ne résorbe le malentendu entre les sexes. Néanmoins, nous avons à tenir compte du fait qu’« elle [la parentalité] appartient à l’époque des Uns disjoints et épars [9] ».
Dans une conférence à Rennes [10], Marie-Hélène Brousse a traité cette question à partir des nouvelles nominations en psychiatrie. Je vous propose de nous en enseigner. « Est-ce que la nomination a changé ? », interrogeait-elle. À l’heure des Uns-tout-seuls, l’étude du discours du Maître lui est apparue comme une impasse.
La boussole du sinthome
Finalement, poursuivait M.-H. Brousse, « le sinthome est ce qui nous guide. Peu importe : ordre symbolique du père, ordre imaginaire des frères, ordre de l’éducateur [11] ». L’accent est mis sur le nouage de chacun, sur sa façon d’enserrer l’objet a, de faire tenir son corps parlant. En déplaçant la question de la différence sexuelle à la sexuation de l’enfant, c’est également ce qui nous est proposé pour la prochaine Journée d’étude. Quels que soient les discours contemporains, la sexuation de chacun – ce qu’il fait du réel de sa jouissance – reste une opacité.
Cette orientation, qui tire les conséquences de son époque, rejoint les indications transmises par Francesca Biagi-Chai lors du colloque du CPCT-parents de 2019. Entre enfant et parent, à partir de l’intrication/désintrication des jouissances [12], « on peut saisir [le] rapport de chacun à l’autre, du parent à l’enfant comme de l’enfant au parent. [13] » Sans doute cela peut-il éclairer nos lanternes. Repérer, pour chacun, le rapport à l’objet a, est alors une boussole clinique essentielle.
S’orienter du sinthome, c’est dire que chaque enfant, chaque parent, a à se débrouiller de son sexe. Il n’y a pas d’universel pour le dire mais il y a le sinthome qui y répond. Le curseur est mis sur le plus singulier de la jouissance, la différence absolue.
Interpréter le parent
Nombreux sont ceux qui viennent interroger au CPCT-parents un comment être mère (ou père), cette question recouvre celle du manque : comment ne pas être toute mère ? Comment ne pas être un père qui fait le père ? Il n’est pas rare que cette question surgisse à l’heure où le printemps fait pour l’enfant son éveil.
Il ne s’agit pas ici de définir ce qui serait ou non féminin, ce qui serait ou non maternel, encore moins d’opérer un forçage de la présence d’un homme. Le praticien orienté par la psychanalyse interprète le parent, au sens élargi par J.-A. Miller, soit « tout ce qui a valeur de message avec une portée de transformation [14] ». Cette transformation peut permettre une désintrication des jouissances, soit des conditions plus favorables pour rebrancher chacun sur son sinthome. Au-delà du binaire, fille/garçon, homme/femme, père/mère, la psychanalyse du XXIè siècle s’oriente du Un de la jouissance, sans négliger les nœuds qui se font avec les fictions nécessaires que sont les Autres.
[1] Centre Psychanalytique de Consultation et Traitement, de Rennes.
[2] Alberti C., « Madredonna », Femmes en psychanalyse, 13 mai 2019, disponible en ligne.
[3] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite Girafe, Champs freudien, n°18, 2003, p. 10.
[4] Ibid.
[5] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 12 février 1992, inédit.
[6]. Lacan J., « 1968, Note sur le père », in Le corps des femmes, La Cause du désir, no89, 2015.
[7] Borie N., « Parler de la sexualité aux enfants », Le Zappeur, 24 juin 2020, disponible en ligne.
[8] Ibid.
[9] Brousse M.-H., « Un néologisme d’actualité : la parentalité », La Cause freudienne, Paris, Navarin, no60, 2005, p. 123.
[10] Colloque de l’ACF-VLB, « Diagnostics en psychiatrie, nouvelles nominations, quels enjeux ? », Rennes, 3 octobre 2020.
[11] Ibid.
[12] Biagi-Chai F., « L’impossible à supporter » [2019], livret du colloque du CPCT-parents, Quand le symptôme devient insupportable, 2020.
[13] Ibid.
[14] Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », Intervention à la deuxième Journée de l’Institut de l’Enfant, Issy-les-Moulineaux, samedi 23 mars 2013.