Menu

« Une pierre de parole qui tient au sexe »[1]

image_pdfimage_print

par Caroline Nissan

L’invitation de l’Institut de l’Enfant à se mettre au tra­vail sur la sexua­tion des enfants m’a per­mis de don­ner tout son poids aux consé­quences de la for­ma­li­sa­tion de la sexua­tion par Lacan comme assomp­tion du sexe. Celle-ci marque un tour­nant déci­sif dans son ensei­gne­ment et une orien­ta­tion fon­da­men­tale pour notre cli­nique dans les cures avec les enfants comme avec les adultes. C’est alors dans la pers­pec­tive de l’être-pour-le-sexe qu’une phrase de Jacques-Alain Miller, dans L’os d’une cure, m’a sai­sie : « sur le che­min ana­ly­tique sur­git une pierre de parole qui tient au sexe »[2].

L’être pour le sexe, c’est l’être qui se défi­nit par le sexe là où, chez Heidegger, l’être se défi­nis­sait par la mort, ce que contient l’expression : « le com­mun des mor­tels ». De la mort au sexe est un mou­ve­ment dans la cure ana­ly­tique que Jacques-Alain Miller retrace, au cours de la pre­mière par­tie de sa confé­rence, qu’il tint au Brésil en 1998. Selon lui, l’analysant passe de l’assomption de la mort, pre­mier fran­chis­se­ment, qui va de l’imaginaire au sym­bo­lique, à l’assomption du sexe, second fran­chis­se­ment, dont un des noms est la tra­ver­sée du fan­tasme[3].

Pour che­mi­ner dans l’être-pour-le-sexe, reve­nons au texte de Lacan : « La signi­fi­ca­tion du phal­lus »[4], qui ouvre la voie du phal­lus vers la « jouis­sance comme telle »[5] au cours du mou­ve­ment de « désha­billage de l’être »[6] propre au che­min ana­ly­tique de l’être par­lant. Reprenant Freud, Lacan affirme qu’il n’y a qu’un seul type de libi­do et qu’elle est « de nature mas­cu­line »[7]. Au moment de ce texte, il y a comme une par­tie du tableau de la sexua­tion mais qui s’applique à tous, à « l’homme (Mensch) »[8] comme le dit Lacan ; la cas­tra­tion ayant, ajoute-t-il, « une fonc­tion de nœud »[9]. Plus tard, les for­mules de la sexua­tion gar­de­ront le phal­lus comme réfé­rence, mais feront sor­tir la jouis­sance de sa pri­son phal­lique. Pas-tout de la jouis­sance ne se situe­ra dans la fonc­tion phallique.

Dans son cours sur « l’Un-tout-seul »[10], Jacques-Alain Miller nous enseigne qu’en effet, la jouis­sance va être pen­sée tout un temps chez Lacan à par­tir du mas­cu­lin. C’est dans le der­nier ensei­gne­ment de Lacan, avec le Séminaire Encore, puis le Séminaire Le Sinthome, qu’enfin « la jouis­sance fémi­nine [sera] conçue comme régime de la jouis­sance comme telle »[11]. Cela porte à consé­quences sur l’idée qu’on avait de pou­voir faire une répar­ti­tion nette de la part homme et de la part femme. C’est pour­quoi nous nous inté­res­sons à la cli­nique du « désordre crois­sant de la sexua­tion »[12] au XXIème siècle. La « jouis­sance comme telle »[13] est la jouis­sance non-œdipienne et, réduite à l’événement de corps car se situant hors-signifiant. Il y a donc la néces­si­té d’un pas­sage à l’au-delà de l’Œdipe, qui s’effectue jus­te­ment aux alen­tours du texte sur la signi­fi­ca­tion du phal­lus. En effet, l’année sui­vante, dans son sémi­naire Le désir et son inter­pré­ta­tion, Lacan pro­pose que le désir d’Hamlet ne se limite pas au désir œdi­pien, qu’il y a un au-delà ; asso­ciant alors le sujet bar­ré à l’objet petit a pour nous ame­ner vers la for­mule du fan­tasme. Il y a, en somme, un dépas­se­ment du roc de la cas­tra­tion par l’objet petit a. « Cette pierre est cet élé­ment sup­plé­men­taire, ce que Lacan appelle l’objet a : un objet sup­plé­men­taire par rap­port à l’ordre réglé par le signi­fiant »[14].

Or, c’est en ana­lyse qu’on découvre, dans un sur­gis­se­ment, qu’il n’y a pas rap­port sexuel. Dans la vie cou­rante, je dirais qu’on croit plu­tôt qu’il y a rap­port sexuel et qu’on croit savoir ce qu’est une femme ou un homme, cha­cun emprun­tant les idéaux de son sexe « jusqu’à la limite de l’acte de copu­la­tion »[15], pré­cise Lacan. C’est ce qu’il a appe­lé la « nor­ma­ti­vi­sa­tion »[16], et ce bien que les nou­velles ques­tions du genre, à l’heure du déclin du Nom-du-Père, aient le mérite d’introduire dans la socié­té qu’il y a bien un choix du sexe tout à fait sin­gu­lier. C’est là l’intuition de la com­mu­nau­té LGBTQI+, lorsqu’elle a acco­lé le + à son sigle à par­tir des années 2010, indi­quant par là que la nomi­na­tion est libre à cha­cun, même à ceux qui n’ont pas encore trou­vé un nom pour le dire.

Dans son sémi­naire inédit « Les non-dupes errent » en 1974, Lacan dit que « l’être sexué ne s’autorise que de lui-même »[17], consé­quence du non-rapport sexuel, de ce que notre être se sexue non pas à par­tir de l’anatomie mais « à par­tir du dis­cours qui [nous] a consti­tués comme sujets de l’inconscient »[18]. Au fond, on ne sait pas ce qu’est être homme ou femme, cha­cun se l’invente de façon tout à fait sin­gu­lière. Ce choix du sexe ne se fait pas sans l’effet du dis­cours, dont le sujet pro­cède en ce qu’il « est un être par­lé »[19].

Cette pierre de parole qui tient au sexe, c’est ce dont cher­che­ront à témoi­gner les cas pré­pa­rés pour cette jour­née de l’Institut de l’Enfant. Au cours de celle-ci, nous cher­che­rons à cer­ner une inven­tion in pro­gress sous trans­fert, qui se situe au-delà de la jouis­sance phal­lique, vers un mode de jouir. Et ce tra­vail m’a ame­né à cer­ner d’une façon nou­velle qu’il n’y avait pas de phase pré-sexuelle chez l’enfant, en ceci que l’entrée du sujet dans le lan­gage se pose comme la porte d’entrée de la sexua­tion. Le lan­gage en tant qu’il est un prin­cipe dif­fé­ren­tiel engage d’emblée la cas­tra­tion sym­bo­lique : un il y a et il n’y a pas.

Image :  Tableau de Pablo Piccaso, Femme lan­çant une pierre. Photo prise par Jean Louis Mazieres, site flickr.

[1] Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 20.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 19.

[4] Lacan J., « La Signification du phal­lus », Écrits, Paris, Seuil, 1999, pp. 685–695.

[5] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. L’Être et l’Un », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris 8, cours du 9 février 2011, inédit.

[6] Miller J.-A., « L’os d’une cure », op. cit.

[7] Lacan J., « La Signification du phal­lus », op. cit., p. 695.

[8] Ibid., p. 685.

[9] Ibid.

[10] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. L’Etre et l’Un », op. cit., inédit.

[11] Ibid., 2 mars 2011, inédit.

[12] Miller J.-A., « Le réel pour le XXIème siècle. Présentation du thème du IXème congrès de l’AMP », La Cause du désir, n°82, Paris, 2012, p. 94.

[13] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. L’Être et l’Un », op. cit., 9 février 2011, inédit.

[14] Miller J.-A., L’os d’une cure, op. cit., p. 15.

[15] Lacan J., « La Signification du phal­lus », op. cit., p. 694.

[16] Brousse M.-H., inter­view réa­li­sée par Myriam Chérel, Ironik, n°28, jan­vier 2018, dis­po­nible en ligne sur https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2018/01/09-Ironik28-LSDD-Marie-He%C2%B4lene-Brousse.pdf

[17] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit

[18] Ibid.

[19] Miller J.-A., L’os d’une cure, op.cit., p. 27.

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.