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Supplément Manga Vol. 4

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Stop !! Hibari-Kun ![1]

par Isabelle Magne

 

Hibari, ado­les­cente char­mante, brillante et sur­tout, libre, est l’idole de son lycée, les gar­çons rêvent d’elle la nuit. Le jeune Kosaku, héros mas­cu­lin du man­ga, en est lui aus­si amou­reux et trou­blé par sa beau­té, mais, à la dif­fé­rence des autres jeunes, lui sait qu’Hibari est un garçon.

Hibari est l’héroïne déjan­tée d’un chef‑d’œuvre de la nou­velle vague man­ga des années 80, Stop ! Hibari-Kun ! écrit et illus­tré par le japo­nais Hisashi Eguchi. La série a connu un très grand suc­cès au Japon au point d’être adap­tée en ani­mé pour la télévision.

Selon la répar­ti­tion « de genre » des man­gas, Stop ! Hibari-Kun ! devrait entrer dans la caté­go­rie des man­gas shōnen, des­ti­née aux jeunes gar­çons. Cependant, avec l’ingrédient de l’amour dans l’histoire, Hisashi Eguchi mélange et paro­die les registres shō­nen et shō­jo (plu­tôt des­ti­né aux jeunes filles) pour sub­ver­tir la tra­di­tion du man­ga roman­tique. Et par la créa­tion de ce per­son­nage fémi­nin ado­les­cent tra­ves­ti, Hisashi Eguchi place son œuvre dans le registre comique, « C’était une sorte d’antithèse contre la ten­dance des “love come­dies” des années 80 ».[2]

En effet, ce n’est pas tant la ques­tion de l’identité sexuelle qui tra­verse l’œuvre de Hisashi Eguchi. Pour lui qui des­sine presque exclu­si­ve­ment des per­son­nages fémi­nins, sous son trait de crayon, Hibari est une fille comme une autre, avec du charme, de la finesse, de la sen­sua­li­té. Le trans­ves­tisme est le sup­port prin­ci­pal du comique en tant qu’il crée autour du sexuel, le mal­en­ten­du, le qui­pro­quo entre les adolescents.

À par­tir de ce per­son­nage, Hisashi Eguchi, peut créer blagues, gags far­fe­lus, jeux de mots, soit une comé­die lou­foque, au rythme sou­te­nu, truf­fée d’onomatopées et d’argot de l’époque. Une façon de déclen­cher le rire à par­tir de l’absurde et du secret. Dans le Japon des années 80, les ques­tions de tran­si­den­ti­té sont asso­ciées à l’underground de la Cité, un monde caché et plu­tôt fermé.

La psy­cha­na­lyse a mon­tré que dans le trans­ves­tisme, la fémi­ni­sa­tion du corps est une féti­chi­sa­tion du phal­lus, en tant que les vête­ments le rendent pré­sent sous les voiles. Lacan en indique ceci : « Le phal­lus doit tou­jours par­ti­ci­per de ce qui le voile. Nous voyons là l’importance essen­tielle de ce que j’ai appe­lé le voile. C’est par l’existence des habits que se maté­ria­lise l’objet. Même quand l’objet réel est là, il faut que l’on puisse pen­ser qu’il peut ne pas y être, et qu’il soit tou­jours pos­sible qu’on pense qu’il est là pré­ci­sé­ment où il n’est pas. »[3]

Seul gar­çon d’une fra­trie de quatre, Hibari fait ce qu’elle veut, dit ce qu’elle veut, comme ses sœurs. Son père, pour­tant chef de clan dans la mafia japo­naise, n’a aucune prise sur elle. Mais sur­tout, elle est drôle et nous enseigne sur le désir plus que sur la ques­tion du choix de sexe. Récemment publié en France, ce man­ga est inter­pré­té du côté des ques­tions actuelles sur la tran­si­den­ti­té. Or, ce per­son­nage tra­ves­ti incarne plu­tôt le phal­lus caché et nous pour­rions dire que le man­ga­ka Hisaschi Eguchi rejoint une tra­di­tion artis­tique aux ori­gines antiques, celle de la comé­die, dont le res­sort est le « phal­lus comique ». Lacan en parle dans son Séminaire VII : « La dimen­sion comique est créée par la pré­sence en son centre d’un signi­fiant caché, mais qui, dans l’ancienne comé­die, est là en per­sonne – le phal­lus. »[4]

Au-delà de la comé­die du phal­lus et de l’objet fétiche, l’humour à par­tir de ce per­son­nage tra­ves­ti, met en exergue le trouble qu’il pro­voque. L’interjection Stop ! vient du fait que la jeune Hibari ne cesse d’être très entre­pre­nante auprès de Kosaku. Le fémi­nin passe du côté du jeune ado­les­cent ; amou­reux d’Hibari, il se ridi­cu­lise par ce trouble qui per­turbe son corps au-delà de l’organe phal­lique. Les des­sins de Hisaschi Eguchi nous montrent le corps de l’adolescent perdre toute conte­nance et tout signe de viri­li­té, il tombe à la ren­verse, rougit…Ainsi que l’écrit Roland Barthes, « Un homme n’est pas fémi­ni­sé parce qu’il est inver­ti, mais parce qu’il est amou­reux. »[5]

 

* Couverture du man­ga : “Stop !! Hibari Kun !” signé Hisachi Eguchi.  édi­tions du Lézard Noir.

[1] Hisashi Eguchi, Stop !! Hibari-Kun !, tra­duc­tion Aurélien Estager, Ed. Le Lézard noir, avril 2018.

[2] Hisashi Eguchi, inter­view, dis­po­nible en ligne, https://​www​.lezard​noir​.com/​l​e​v​e​n​e​m​e​n​t​-​s​t​o​p​-​h​i​b​a​r​i​-​k​un/

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La rela­tion d’objet, texte éta­bli par J.-A. Miller, Seuil, Paris, 1994, p. 194.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli, par J.-A. Miller, Seuil, Paris, 1986, p. 362.

[5] Barthes R., Fragments d’un dis­cours amou­reux, Seuil, Points Essais, Paris, 1977, p. 20.

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