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Fluidité de la sexuation

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Par Christine Maugin

Avec l’enseignement de Freud et Lacan, le lien que chaque-un entre­tient avec l’Autre sexe par­ti­cipe de la sexua­tion du sujet. La bio­lo­gie ne suf­fit pas à ins­crire notre posi­tion psy­chique sexuée. En effet, il n’y pas d’identité sexuelle ins­crite dans l’inconscient, comme Lacan le for­mule dans Le Séminaire XI : « dans le psy­chisme, il n’y a rien par quoi le sujet puisse se situer comme être de mâle ni être de femelle [1]», pas plus qu’il y aurait un ins­tinct « natu­rel » qui dirait aux enfants com­ment être fille, gar­çon ou autre.

Homme, femme

En psy­cha­na­lyse, homme et femme ne cor­res­pond pas à mâle et femelle qui relèvent de la bio­lo­gie, de la sexua­li­té, voire de la repro­duc­tion. La bio­lo­gie répond pour la plu­part des cas à une équa­tion simple : quand les chro­mo­somes xx sont pré­sents, le sexe est fémi­nin, quand les chro­mo­somes xy sont pré­sents, alors le sexe est mas­cu­lin. Anatomiquement, si le sexe est un vagin et deux ovaires, c’est une fille, si c’est un pénis et deux tes­ti­cules, c’est un gar­çon. Quant au niveau hor­mo­nal : les œstro­gènes pour les filles, la tes­to­sté­rone pour les gar­çons. Bien évi­dem­ment, même la bio­lo­gie connaît des « ratés » et dans ce cas, nous avons affaire à des « her­ma­phro­dites » ou des inter­sexes quand les deux sexes sont présents.

Faire mâle ou femelle pour­rait rele­ver de la parade amou­reuse, dont Lacan parle notam­ment chez le pigeon, indi­quant ain­si que cela relève du registre imaginaire.

L’enseignement de la psy­cha­na­lyse nous apprend que les tru­mains[2] sont des êtres de lan­gage : c’est parce qu’ils sont affec­tés par le lan­gage, qu’ils sont êtres humains. Du fait qu’ils parlent, le rap­port entre les sexes n’est pas orga­ni­sé vers le but repro­duc­tif. Il n’y a pas de modèle dans la ren­contre entre les sexes. Il y a un obs­tacle à l’écriture d’une for­mule et à l’existence d’un rap­port sexuel : c’est que la jouis­sance s’en mêle [3]. Ça rate, c’est de structure.

Alors, à cha­cun sa manière de ren­con­trer l’autre sexe… ou pas !

J’ai reçu un jeune qui ne vou­lait pas savoir que les filles allaient deve­nir une « affaire cou­rante ». Comme son père est dans les affaires, il ne savait que trop com­bien ces choses sont com­pli­quées, qu’elles angoissent, qu’on dort mal, qu’elles empêchent de faire du sport… comme son père. Alors lui avait déci­dé : « Non, les filles c’est pas mon truc, le sport c’est bien mieux. » Il fai­sait tout pour que les affaires avec les filles res­tent entre filles. Mais l’une d’entre, qui elles vou­lait bien com­prendre les choses entre les gars et les filles, s’est appro­chée de lui, mais lui, non. Ça lui a cau­sé beau­coup de sou­ci, parce que les autres gar­çons ont com­men­cé à l’insulter. Il ne savait pas faire homme, au regard des autres. Il n’agitait pas les bons sem­blants et on l’a très vite trai­té de pédé. Et là, il vou­lait répondre, avec la force et la vio­lence mais son tra­vail dans le trans­fert lui avait déjà fait entendre que « ça c’est pour le sport ».

Lacan nous enseigne qu’homme et femme sont des signi­fiants et que s’inscrire dans l’une ou l’autre des posi­tions sexuées est un fait de lan­gage. Le choix de la sexua­tion, se faire homme ou femme, sup­pose d’admettre que le sexe bio­lo­gique ne fait pas le des­tin mais que c’est affaire de dis­cours. C’est dans le dis­cours qu’homme et femme ont à se faire valoir comme tels [4].

Faire homme ou femme, dans Le Séminaire XVIII, ce serait plu­tôt alors faire signe qu’on l’est [5], faire preuve de sa propre cas­tra­tion et user des sem­blants de la viri­li­té et de la fémi­ni­té. C’est dans la mesure où un sujet ne se croit pas homme ou femme mais tient compte qu’il y ait des femmes pour le gar­çon et des hommes pour la fille [6] qu’il peut adop­ter les sem­blants de son sexe.

En conclu­sion,

Rien ne s’écrit qui ne soit valable pour tous dans la ren­contre avec l’Autre sexe. Nous avons tous, au un par un, à éla­bo­rer une réponse sub­jec­tive, sin­gu­lière face au non rap­port sexuel. Ce réel auquel nous avons tous affaire, cha­cun a à trou­ver une solu­tion pour l’aborder, le bor­der. Les sem­blants, que nous avons à notre dis­po­si­tion par le lan­gage, peuvent nous ser­vir d’appui, si on consent à s’en ser­vir pour s’inscrire dans le monde et enser­rer notre réel.

Avec l’enseignement de Lacan, nous savons que nous ne sommes pas tou­jours femme, homme, mais que nous avons un rap­port au sexe, fluide, puisque dans une situa­tion, nous pou­vons être une femme, et quelques temps après, revê­tir l’habit mas­cu­lin. Homme et femme sont des habits de notre être.

Les enfants le repèrent-ils plus aisé­ment quand ils disent recon­naître qu’un gar­çon c’est celui qui a une épée, un pan­ta­lon, ou alors qui joue avec des voi­tures, ou alors une fille, c’est celle qui fait la cho­chotte avec ces habits et ces boucles d’oreilles ? Ils se fabriquent des indices qui leur per­mettent de ségré­guer non pas les jouis­sances mais les appa­rences. Un peu à la manière freu­dienne de la dif­fé­rence ana­to­mique entre les sexes, cer­tains enfants s’appuient sur ce qu’ils observent de l’apparence pour faire des tris, des groupes « filles » « gar­çons » ou alors, comme dit M.-H. Brousse[7], il y a des « filles­gar­çons » et des « gar­çons­filles ». Ça mute et la construc­tion signi­fiante « filles­gar­çons » « gar­çons­filles » essaie de nom­mer la flui­di­té de la chose.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, Paris, Seuil, 1973, p. 186.

[2] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. Le tout der­nier Lacan », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris VIII, leçon du 2 mai 2007, inédit.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un dis­cours qui ne serait pas du sem­blant, Paris, Seuil, 2007, p. 107.

[4] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un dis­cours…, op. cit., … p. 146.

[5] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un dis­cours…, op. cit., … p. 32.

[6] Ibid., p. 34.

[7] Brousse M.-H., « Le trou noir de la dif­fé­rence sexuelle », texte d’orientation pour la 6e Journée de l’Institut de l’enfant. Consultable en ligne.

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