8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Parler de sexualité aux enfants

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par Nicole Borie

L’argument de la sixième jour­née de l’IE s’ouvre par cette remarque : « Une ten­dance actuelle met en ques­tion la dif­fé­rence sexuelle comme idéo­lo­gie socia­le­ment dépas­sée. ” Fille ou gar­çon ” paraît l’alternative à laquelle il s’agit d’échapper car celle-ci ins­cri­rait le sujet dans une des­ti­née toute tra­cée, sans place pour la sur­prise. [1]»

A pro­pos de cet impos­sible à dire sur le sexe que Lacan avance sous la for­mule d’une « malé­dic­tion sur le sexe »[2], il ajoute : « Même si les sou­ve­nirs de la répres­sion fami­liale n’étaient pas vrais, il fau­drait les inven­ter, et on n’y manque pas. Le mythe, c’est ça, la ten­ta­tive de don­ner forme épique à ce qui s’opère de la struc­ture. L’impasse sexuelle sécrète les fic­tions qui ratio­na­lisent l’impossible dont elle pro­vient. Je ne les dis pas ima­gi­nées, j’y lis comme Freud l’invitation au réel qui en répond. [3]»

Nous pou­vons consi­dé­rer la for­mule il n’y a pas de rap­port sexuel comme rele­vant de cette malé­dic­tion, laquelle met chaque être par­lant à la tâche de trou­ver com­ment poser pour lui-même la ques­tion de la sexualité.

Freud a rele­vé avec minu­tie les mythes éla­bo­rés par les enfants. Lacan, lui, pré­fère le terme de fic­tion. Ces construc­tions sont autant de réponses sérieuses à cet impos­sible à dire. Elles sont tou­jours d’actualité et inter­rogent les adultes quant à la ver­sion qu’ils adressent à l’enfant. Chaque enfant fabrique sa construction/réponse en inter­ro­geant le désir duquel il est issu. Le savoir des adultes se heurte à ce qui ne peut pas se transmettre.

Lorsque l’enfant prend conscience de la jouis­sance obte­nue dans son corps, l’exigence d’intimité appa­raît en même temps que l’embarras du sexuel se fait plus encombrant.

Dans l’éducation paren­tale et sco­laire, à l’interdit se sub­sti­tue des moda­li­tés édu­ca­tives davan­tage cen­trées sur l’autonomisation de l’enfant et son auto-régulation. On peut se poser la ques­tion de savoir si la sexua­li­té échappe à ce nou­vel idéal éducatif ?

Comment parle-t-on de sexua­li­té aux enfants ? Les conseils pour par­ler de sexua­li­té font flo­rès dans les médias et ceux de Maïa Mazaurette à lire dans sa chro­nique dans Le Monde, « Le sexe selon Maïa », indique que le malaise à en par­ler n’a pas dis­pa­ru. Elle évoque la crainte des parents d’ajouter un malaise au lieu de le dis­si­per. Il y a dans la sexua­li­té une per­cep­tion de celle-ci por­teuse de dan­ger. En par­ler reste problématique.

Les craintes des édu­ca­teurs en ins­ti­tu­tion se foca­lisent sou­vent sur les expres­sions d’une sexua­li­té dés­in­hi­bée. Les réseaux sociaux pro­duisent une cir­cu­la­tion des images obs­cènes dif­fi­cile à contrô­ler. Cela va de l’image por­no­gra­phique ano­nyme, à des scènes visant un ou une cama­rade de classe, au Happy slap­ping. Il n’est pas rare dans les ins­ti­tu­tions de réduire la ques­tion de la sexua­li­té à celle du harcèlement.

Dans le film danois de Thomas Vinterberg, « La Chasse »[4], Mad Mikkelsen joue le rôle de Lucas, un auxi­liaire de jar­din d’en­fants récem­ment divor­cé, accu­sé du jour au len­de­main de pédo­phi­lie. Klara, une petite fille prise d’affection pour Lucas, se trouve par ailleurs empor­tée dans un cha­hut dans lequel son grand frère et ses copains se passent des pho­tos por­no­gra­phiques. La scène est fil­mée dans un cadrage ser­ré dans lequel on voit vire­vol­ter le corps de la petite fille et les pho­tos obs­cènes que se dis­putent les gar­çons. Déçue que son amour soit rava­lé à l’enfantillage et trou­blée par ce qu’elle a vu dans ces cir­cons­tances exci­tantes, elle accuse Lucas. Dans ce film très sub­til s’entremêlent amour, désir incons­cient et jouissance.

La dan­ge­ro­si­té de la sexua­li­té ne cesse de reve­nir dans les pro­pos tenus aux enfants. Pourtant des inven­tions sym­bo­liques sont tou­jours pos­sibles si les adultes veulent bien les accueillir. Les pro­fes­sion­nels savent à quel point la sexua­li­té peut s’inscrire de façon trau­ma­tique dans les his­toires chao­tiques que chaque enfant pla­cé emmène avec lui dans ces lieux d’accueil. Les tra­vaux des labo­ra­toires du CIEN en témoignent régulièrement.

Dans le dis­cours tenu aux enfants sur la sexua­li­té à l’école, une très large place est main­te­nant occu­pée par l’égalité fille/garçon.

L’éducation natio­nale a lan­cé en 2017 une pla­te­forme vidéo péda­go­gique en faveur de l’é­ga­li­té des sexes[5]. Matilda explique aux enfants de pri­maire com­ment relire les contes de fée. Le terme de soro­ri­té s’ajoute à celui de fra­ter­ni­té et un nou­veau mot est pro­po­sé : adel­phi­té[6]. Celui-ci est repris par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Parler de sexua­li­té passe aujourd’hui par l’égalité. Quid de la différence ?

 

[1] Sokolowsky L., Damase H., « Comment le sexe vient-il aux enfants ? », Argument de la 6ème jour­née d’étude : la sexua­tion des enfants, 12 février 2020. Disponible en ligne.

[2] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, 2001, p. 531.

[3] Ibid., p. 532.

[4] Vinterberg T., La chasse, 2012, film danois qui a obte­nu le prix d’interprétation mas­cu­line au Festival de Cannes 2012.

[5] Adresse du site : https://​matil​da​.edu​ca​tion/​a​pp/

[6] Adelphité : Terme venu du grec et non gen­ré qui signi­fient union, frère, issu de la même mère. Cf. Haut Conseil à l’égalité entre les Femmes et les Hommes, « pour une Constitution garante de l’égalité femmes-hommes, avis rela­tif à la révi­sion consti­tu­tion­nelle », 18 avril 2018. Disponible en ligne. http://​www​.haut​-conseil​-ega​lite​.gouv​.fr/​I​M​G​/​p​d​f​/​c​o​n​s​t​i​t​u​t​i​o​n​_​g​a​r​a​n​t​e​_​e​f​h​-​v​3​.​pdf

Dans son pré­am­bule : En ver­tu de ces prin­cipes et de celui de la libre déter­mi­na­tion des peuples, la République offre aux ter­ri­toires d’outre-mer qui mani­festent la volon­té d’y adhé­rer des ins­ti­tu­tions nou­velles fon­dées sur l’idéal com­mun de liber­té, d’égalité et de fra­ter­ni­té* d’adelphité et conçues en vue de leur évo­lu­tion démo­cra­tique. … La loi favo­rise garan­tit l’égal accès des femmes et des hommes aux man­dats élec­to­raux et fonc­tions élec­tives P34 du même rap­port : La République recon­naît, au sein du peuple fran­çais, les popu­la­tions d’outre-mer, dans un idéal com­mun de liber­té, d’égalité et de fra­ter­ni­té d’adelphité.

*Rature d’origine.