par Nicole Borie
L’argument de la sixième journée de l’IE s’ouvre par cette remarque : « Une tendance actuelle met en question la différence sexuelle comme idéologie socialement dépassée. ” Fille ou garçon ” paraît l’alternative à laquelle il s’agit d’échapper car celle-ci inscrirait le sujet dans une destinée toute tracée, sans place pour la surprise. [1]»
A propos de cet impossible à dire sur le sexe que Lacan avance sous la formule d’une « malédiction sur le sexe »[2], il ajoute : « Même si les souvenirs de la répression familiale n’étaient pas vrais, il faudrait les inventer, et on n’y manque pas. Le mythe, c’est ça, la tentative de donner forme épique à ce qui s’opère de la structure. L’impasse sexuelle sécrète les fictions qui rationalisent l’impossible dont elle provient. Je ne les dis pas imaginées, j’y lis comme Freud l’invitation au réel qui en répond. [3]»
Nous pouvons considérer la formule il n’y a pas de rapport sexuel comme relevant de cette malédiction, laquelle met chaque être parlant à la tâche de trouver comment poser pour lui-même la question de la sexualité.
Freud a relevé avec minutie les mythes élaborés par les enfants. Lacan, lui, préfère le terme de fiction. Ces constructions sont autant de réponses sérieuses à cet impossible à dire. Elles sont toujours d’actualité et interrogent les adultes quant à la version qu’ils adressent à l’enfant. Chaque enfant fabrique sa construction/réponse en interrogeant le désir duquel il est issu. Le savoir des adultes se heurte à ce qui ne peut pas se transmettre.
Lorsque l’enfant prend conscience de la jouissance obtenue dans son corps, l’exigence d’intimité apparaît en même temps que l’embarras du sexuel se fait plus encombrant.
Dans l’éducation parentale et scolaire, à l’interdit se substitue des modalités éducatives davantage centrées sur l’autonomisation de l’enfant et son auto-régulation. On peut se poser la question de savoir si la sexualité échappe à ce nouvel idéal éducatif ?
Comment parle-t-on de sexualité aux enfants ? Les conseils pour parler de sexualité font florès dans les médias et ceux de Maïa Mazaurette à lire dans sa chronique dans Le Monde, « Le sexe selon Maïa », indique que le malaise à en parler n’a pas disparu. Elle évoque la crainte des parents d’ajouter un malaise au lieu de le dissiper. Il y a dans la sexualité une perception de celle-ci porteuse de danger. En parler reste problématique.
Les craintes des éducateurs en institution se focalisent souvent sur les expressions d’une sexualité désinhibée. Les réseaux sociaux produisent une circulation des images obscènes difficile à contrôler. Cela va de l’image pornographique anonyme, à des scènes visant un ou une camarade de classe, au Happy slapping. Il n’est pas rare dans les institutions de réduire la question de la sexualité à celle du harcèlement.
Dans le film danois de Thomas Vinterberg, « La Chasse »[4], Mad Mikkelsen joue le rôle de Lucas, un auxiliaire de jardin d’enfants récemment divorcé, accusé du jour au lendemain de pédophilie. Klara, une petite fille prise d’affection pour Lucas, se trouve par ailleurs emportée dans un chahut dans lequel son grand frère et ses copains se passent des photos pornographiques. La scène est filmée dans un cadrage serré dans lequel on voit virevolter le corps de la petite fille et les photos obscènes que se disputent les garçons. Déçue que son amour soit ravalé à l’enfantillage et troublée par ce qu’elle a vu dans ces circonstances excitantes, elle accuse Lucas. Dans ce film très subtil s’entremêlent amour, désir inconscient et jouissance.
La dangerosité de la sexualité ne cesse de revenir dans les propos tenus aux enfants. Pourtant des inventions symboliques sont toujours possibles si les adultes veulent bien les accueillir. Les professionnels savent à quel point la sexualité peut s’inscrire de façon traumatique dans les histoires chaotiques que chaque enfant placé emmène avec lui dans ces lieux d’accueil. Les travaux des laboratoires du CIEN en témoignent régulièrement.
Dans le discours tenu aux enfants sur la sexualité à l’école, une très large place est maintenant occupée par l’égalité fille/garçon.
L’éducation nationale a lancé en 2017 une plateforme vidéo pédagogique en faveur de l’égalité des sexes[5]. Matilda explique aux enfants de primaire comment relire les contes de fée. Le terme de sororité s’ajoute à celui de fraternité et un nouveau mot est proposé : adelphité[6]. Celui-ci est repris par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Parler de sexualité passe aujourd’hui par l’égalité. Quid de la différence ?
[1] Sokolowsky L., Damase H., « Comment le sexe vient-il aux enfants ? », Argument de la 6ème journée d’étude : la sexuation des enfants, 12 février 2020. Disponible en ligne.
[2] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, 2001, p. 531.
[3] Ibid., p. 532.
[4] Vinterberg T., La chasse, 2012, film danois qui a obtenu le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2012.
[5] Adresse du site : https://matilda.education/app/
[6] Adelphité : Terme venu du grec et non genré qui signifient union, frère, issu de la même mère. Cf. Haut Conseil à l’égalité entre les Femmes et les Hommes, « pour une Constitution garante de l’égalité femmes-hommes, avis relatif à la révision constitutionnelle », 18 avril 2018. Disponible en ligne. http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/constitution_garante_efh-v3.pdf
Dans son préambule : En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité* d’adelphité et conçues en vue de leur évolution démocratique. … La loi favorise garantit l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives P34 du même rapport : La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité d’adelphité.
*Rature d’origine.