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Conversation avec Edwige Kouassi, Juge des enfants et Killian Maillefaud, Juge aux affaires familiales

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Le 23 sep­tembre 2023 à St Brieuc, deux magis­trats, Edwige Kouassi, Juge des enfants et Killian Maillefaud, Juge aux affaires fami­liales et ancien juge des enfants ont accep­té de conver­ser avec Christelle Sandras, Élodie Boyer et Adeline Suanez au cours de la jour­née « L’Enfant et ses pla­ce­ments », orga­ni­sée en direc­tion de la JIE7. Ici, sont extraits des mor­ceaux choi­sis. Nous les remer­cions vive­ment d’avoir accep­té la publi­ca­tion et la dif­fu­sion de ces échanges.

L’enfant, sa parole

Adeline Suanez  En tant que Juge des enfants, vous êtes ame­nés à entendre des enfants dans le cadre d’audiences. Comment cette parole, celle de l’enfant, est-elle prise en compte ? Quel sta­tut lui donnez-vous au regard des déci­sions qui vous incombent ?

Edwige Kouassi – La loi ne met pas de cadre pour le recueil de la parole de l’enfant devant le juge des enfants, c’est l’une des fonc­tions où elle laisse la plus grande part d’interprétation à la per­son­na­li­té du magis­trat. Il y a autant de façon d’incarner la fonc­tion de juge des enfants que de juges des enfants. Certains col­lègues veulent voir tous les enfants, du nouveau-né à celui qui a dix-huit ans, d’autres s’arrêtent à la notion d’enfant dis­cer­nant, c’est-à-dire que nous n’entendons pas les enfants en des­sous d’un cer­tain âge, ou alors excep­tion­nel­le­ment lorsque les enfants le demandent. La parole de l’enfant n’est pas évi­dente à recueillir. J’ai remar­qué que la façon dont on pose les ques­tions peut par­fois influen­cer la manière dont les enfants vont répondre. Ma pra­tique est évo­lu­tive dans les entre­tiens avec les enfants, demain ce sera peut-être encore dif­fé­rent. En fonc­tion de ce que me dit l’enfant, je lui demande : « Donc toi, cela te convient la manière dont cela se passe avec papa, avec maman ? » Cela per­met à l’enfant d’affiner un peu les choses, sans que je ne l’ai mis dans la situa­tion de répondre à la ques­tion de savoir « s’il veut ou non res­ter pla­cé ». Pour moi, la façon de poser les ques­tions est impor­tante. L’idée serait de ne pas influen­cer trop la parole de l’enfant, mais d’avoir une jauge pour savoir com­ment se sent cet enfant par rap­port à cette notion de dan­ger, pour pou­voir prendre ensuite la déci­sion la plus adap­tée à cette situation.

Killian Maillefaud – Sur la ques­tion du recueil de la parole de l’enfant, nous sommes sou­mis à la loi. Je com­men­çais mes entre­tiens en indi­quant aux enfants. « Tu me parles, mais sache que ce que tu vas me dire, poten­tiel­le­ment après je vais en par­ler avec tes parents et les autres adultes pré­sents » Je ne le disais pas comme cela, mais c’est pour indi­quer que ce qui se dit là, je ne le garde pas pour moi et que j’en dis­cute avec les parents, sauf élé­ments de dan­ger très graves qui néces­si­te­raient une enquête. La jus­tice met en œuvre ce prin­cipe du débat contra­dic­toire. Si l’enfant me dit quelque chose qui pour­rait influen­cer ma déci­sion, je dois le sou­mettre au contra­dic­toire après, avec les parents, avec les édu­ca­teurs pré­sents ou autre puisque ce sera un des élé­ments qui m’aura fait prendre cette déci­sion. J’ai le sou­ve­nir que lors d’une audience, spon­ta­né­ment l’enfant a dit au juge : « Moi je com­prends pas, ça fait depuis des années que mes parents ne s’occupent pas de moi et je veux arrê­ter de conser­ver des liens qui n’existent pas. » Quand on entend un enfant de dix ans vous dire cela, fran­che­ment ça ques­tionne. Par consé­quent, se pose la ques­tion du main­tien du lien : jusqu’où tente-t-on le tra­vail avec les parents ? Est-ce que n’est pas l’intérêt de l’enfant qui doit pri­mer, son besoin de sécurité ?

Le lien ?

Élodie Boyer  Justement sur cette ques­tion des liens, pour­quoi main­te­nir un lien qui nexiste pas ? À quoi cela cor­res­pond pour vous ?

É. K.– La loi fran­çaise, la pro­tec­tion de l’enfance donne la pri­mau­té au main­tien du lien parent-enfant. Et la fonc­tion du Juge des Enfants est une fonc­tion qui fait le grand écart entre dif­fé­rents prin­cipes pour essayer de les conci­lier entre eux. À la fois le Juge des Enfants a pour fonc­tion, face à l’administration qui repré­sente l’aide sociale àl’enfance, de pré­ser­ver les droits des parents, mais aus­si de tenir compte de l’intérêt de l’enfant. Et celui-ci par­fois ne va pas avec les droits des parents. Le droit au main­tien des liens fami­liaux, c’est l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme : le droit à la vie pri­vée, à une vie fami­liale « nor­male », c’est-à-dire les enfants avec les parents. Les enfants comme les parents ont ce droit-là. En France, c’est cela la pri­mau­té au lien parent-enfant. Tout le tra­vail édu­ca­tif et l’office du Juge des Enfants est de main­te­nir les parents dans leur fonc­tion. Cela mène par­fois à des situa­tions où les enfants, eux, ne veulent plus de ce lien-là ou n’en ont plus besoin pour gran­dir. C’est là que notre office, en tant que Juge des enfants prend tout son sens. Là encore, la per­son­na­li­té du juge va beau­coup influencer.

K. M.– En tant que juge aux affaires fami­liales main­te­nant, je vois les consé­quences au niveau des enfants. Par exemple, si une déci­sion réserve les droits paren­taux, ne per­met pas la créa­tion de lien de visite entre les parents et les enfants, par­fois les ser­vices édu­ca­tifs vont deman­der au juge aux affaires fami­liales de faire une délé­ga­tion d’autorité paren­tale ou per­mettre de faire une pro­cé­dure de délais­se­ment paren­tal pour que l’enfant puisse être adop­té ou autre. Dans ce cas, devant le juge aux affaires fami­liales, les parents sont pré­sents, et ont cet argu­men­taire qui peut être com­pré­hen­sible et rece­vable juri­di­que­ment. Ils me disent : « Moi, je vou­drais avoir des liens avec mes enfants, mais puisque la déci­sion judi­ciaire ne m’a pas per­mis d’avoir ce droit avec mes enfants, c’est pour ça que je ne me mani­feste pas auprès de lui, c’est pour ça que je ne lui écris pas et que je ne le vois pas. Et vous ne pou­vez pas me reti­rer mes droits de manière plus défi­ni­tive parce que vous me repro­chez de ne pas m’intéresser à mon enfant alors même que par vos propres déci­sions judi­caires, vous m’empêchez de faire ces liens-là. » Se posent alors ces ques­tions pour nous sur la créa­tion de lien et si on ne le crée pas, sur les consé­quences der­rière au niveau du retrait et de la réduc­tion des droits parentaux.

Le dan­ger

Christelle Sandras  Le juge des enfants a donc une posi­tion déli­cate, car l’appréciation de l’intérêt supé­rieur de l’enfant est redou­blée par le fait que la notion de dan­ger est elle aus­si très floue et demande là aus­si votre appréciation.

É. K. – La loi a beau­coup évo­lué, nous sommes pas­sés de dan­ger pri­maire – sécu­ri­té phy­sique, etc. – à un dan­ger qui est de plus en plus pro­téi­forme. C’est cette notion-là qui fait dire que nous avons le plus d’arbitraire, cela dépend vrai­ment de la per­cep­tion de la situa­tion. Et au-delà de notre per­cep­tion, chaque enfant, dans la même situa­tion don­née, face à la même menace, ne déve­lop­pe­ra pas les mêmes symp­tômes, c’est vrai­ment à sai­sir aux cas par cas.

K. M.– Ce texte [1] nous per­met d’apprécier, de faire du vrai cas par cas. Sinon il y aurait des textes qui diraient qu’en cas de tel type de vio­lences ou de carences, alors ce serait telle réac­tion. On a à la fois la pos­si­bi­li­té de réagir par rap­port à cette carac­té­ri­sa­tion du dan­ger et dans les réponses édu­ca­tives que l’on peut appor­ter. Parce que nous sommes dans une matière qui est pro­fon­dé­ment humaine, évo­lu­tive, et cela nous per­met de nous adap­ter au mieux et à chaque fois de régler notre dis­po­si­tion judi­ciaire au plus proche de la situa­tion fami­liale actuelle.

Le pla­ce­ment

É. B.  Avez-vous pu mesu­rer l’effet d’un pla­ce­ment que vous avez pro­non­cé, pour les enfants et pour les parents ?

K. M.– Le pla­ce­ment crée un choc, on le sait. Pour les enfants, cela créé peut créer des trau­ma­tismes et nous savons que c’est une déci­sion à prendre avec res­pon­sa­bi­li­té puisque cela entraî­ne­ra des consé­quences pour les rela­tions fami­liales et pour la construc­tion psy­chique de l’enfant.

É. K.– Sur cette ques­tion, les réponses risquent d’être extrê­me­ment larges en fonc­tion de chaque enfant sur chaque pla­ce­ment, si bien que c’est com­pli­qué de répondre. Parfois le pla­ce­ment va recréer une uni­té fami­liale dans les familles sépa­rées, avec le ser­vice, le juge et d’autres fois, en effet, la sépa­ra­tion phy­sique per­met la sépa­ra­tion psy­chique. Il y a des enfants qui en ont besoin.

[1]. Art. 375 du Code Civil.

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