8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Zappeur JIE7

« Créer un espace de séparation »

Zappeur n° 35
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Une enfant, « ter­rible » en classe et en famille, énonce au cours de sa cure : « Pourquoi c’est tou­jours aux mères qu’on pose des ques­tions, jamais aux pères, c’est bizarre ?! ». Une ado­les­cente à pro­pos de son père violent : « Mon père, il arrive à me faire chan­ger d’avis, je ne sais pas pour­quoi… Il est tel­le­ment per­sua­dé de ce qu’il nous répète, que j’arrive à le croire, c’est impos­sible de lui dire le contraire, c’est mala­dif ! ». Un jeune homme, à l’orée de sa majo­ri­té, diag­nos­ti­qué TDAH et HPI pen­dant son enfance, repère sous trans­fert que son symp­tôme, cette agi­ta­tion insup­por­table en classe qui lui a valu une pres­crip­tion de Ritaline, a démar­ré au moment « ter­rible pour lui » du divorce de ses parents.

La famille est tou­jours bien vivante et prend mille et une formes de nos jours. Mille et une formes soit, mille et un dis­cours. En effet, au-delà des fonc­tions de père ou de mère, Lacan place le dis­cours. Le dis­cours qui véhi­cule des signi­fiants maîtres, la façon dont les parents trans­mettent le savoir, le dis­cours tra­ver­sé par la jouis­sance, le dis­cours avec des mots qui marquent, qui frappent, qui assignent. « Il faut que le signi­fiant se monte en dis­cours pour que des êtres fassent leur appa­ri­tion à la sur­face du réel, quitte à écla­ter comme des bulles de savon[1]». À par­tir de là, nous pou­vons avan­cer que ce qui fait « trait d’union », ce qui fait lien, dépasse les sujets. Sans dis­cours qui pré­existe, pas de sujet par­lant. Daniel Roy sou­ligne ce point dans son texte d’orientation : « Le réel de la jouis­sance vient ain­si “s’imprimer” par en-dessous sur la trame du dis­cours et don­ner une nou­velle pers­pec­tive pour le symp­tôme, celle d’un réel irré­duc­tible entre parents et enfants qui les lie et qui les sépare, “à un point de “on ne parle pas de ça”” pré­sent dans chaque famille. [2]».

Dans l’expérience ana­ly­tique, le sujet approche ce réel par le lan­gage et la parole, par un savoir insu. Il ne s’agit pas de « bien connaître » son père, sa mère, ou son enfant pour en tirer un savoir qui ouvri­ra « un espace de sépa­ra­tion », selon la for­mule de D. Roy. La connais­sance objec­tive le sujet comme l’illustre l’expression : « Je te connais comme si je t’avais fait ». Au contraire, dans les dis­cours se loge un « savoir des familles [3]» que le cli­ni­cien orien­té par la psy­cha­na­lyse laca­nienne sai­sit et retourne à l’enfant ou au parent pris dans la jouis­sance, voire un réel. Cette dimen­sion du savoir sur l’Autre, tis­sée à par­tir des signi­fiants, des énon­cés et des affects, est mise en évi­dence de façon per­cu­tante par Francesca Biagi-Chai : « Ce qui ne se sai­sit pas n’est pas hors-norme. C’est, disons, une Autre mesure de la norme. L’authentifier, c’est lui per­mettre d’entrer dans un dis­cours. De ce point de vue, la psy­cha­na­lyse est anti­sé­gré­ga­trive ; recon­naître la dif­fé­rence, savoir y faire avec cette dif­fé­rence peut modi­fier le des­tin d’un sujet[4]».

Faire la place aux signi­fiants est bien l’inverse des pro­to­coles thé­ra­peu­tiques et des conseils édu­ca­tifs. « La psy­cha­na­lyse enseigne les ver­tus de l’impuissance : elle, au moins, res­pecte le réel. Leçon de sagesse pour une époque, la nôtre, qui voit la bureau­cra­tie, au bras de la science, rêver de chan­ger l’homme dans ce qu’il a de plus pro­fond[5]».

Ainsi, pour les petits sujets, comme pour les grands, la finesse de la cli­nique orien­tée par l’enseignement de Lacan per­met d’opérer des sépa­ra­tions des dis­cours et des énon­cés de l’Autre.

[1] Miller J.-A., « L’Un est lettre », La Cause du désir, no107, mars 2021, p. 18.

[2] Roy D., op. cit.

[3] Cf. Biagi-Chai F., « Le savoir des familles ou le savoir dans les familles », La famille et ses embrouilles, édi­tions Pleins feux, décembre 2009.

[4] Ibid., p. 41.

[5] Miller J.-A., argu­ment au texte « Je parle au murs » de J. Lacan, publié dans la col­lec­tion « Comment faire pour ensei­gner », Paris, Seuil, 2011.