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Enfants terribles, et non terribles enfants

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Le ter­ribles du thème de la pro­chaine Journée de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant  du Champ freu­dien, « Parents exaspérés-enfants ter­ribles », peut, dans la langue, pas­ser d’un pôle à l’autre, grâce au jeu de passe-passe per­mis par le tiret. Comment, dans le champ de l’orientation laca­nienne, sai­sir ses impli­ca­tions quand il est acco­lé à enfants ?

Deux œuvres de Jean Cocteau sont inti­tu­lées selon les deux syn­tagmes for­més par ce pas­sage au-delà du tiret : Les Enfants ter­ribles et Les Parents ter­ribles.

La pre­mière, Les Enfants ter­ribles[1], un roman écrit en 1929, est le récit des tri­bu­la­tions d’un jeune gar­çon et de sa sœur aînée gran­dis­sant auprès d’une mère malade, absente avant qu’elle ne décède. Il n’est pas ques­tion du père. Quelques per­son­nages mas­cu­lins tentent bien une appa­ri­tion, mais sans qu’aucun n’incarne une figure tuté­laire. Frère et sœur se montrent sans aucune gêne l’un envers l’autre, leur confé­rant un aspect presque ter­ri­fiant. Neuf ans plus tard, Cocteau nous offre une seconde œuvre sous forme de pièce de théâtre cette fois, Les Parents ter­ribles[2], pein­ture d’une famille dite « bour­geoise » où les tour­ments d’un fils exces­sif se mêlent à la com­plai­sance d’une mère abu­sive. Que signi­fie ce ter­rible qui passe de l’un à l’autre ? Selon le lexique, l’attribut ter­rible signi­fie : « qui ins­pire ou cherche à ins­pi­rer la ter­reur, qui pro­voque une émo­tion pro­fonde ». En effet, il n’y a « Pas d’affect sans rap­port à l’Autre[3] ». Qu’est-ce que cela implique pour l’être par­lant, notam­ment enfant ?

Lors d’une inter­ven­tion publique don­née en Italie, en 1973, Lacan dit : « Et quand un être humain des­cend dans ce bas monde […], quand ils arrivent en bas, ils sont déjà des petits a, c’est-à-dire qu’ils sont déjà à l’avance condi­tion­nés par le désir de leurs parents[4]». Le temps du Séminaire XVI où Lacan nous invi­tait à recon­si­dé­rer la bio­gra­phie de l’enfant n’est pas si loin. Déjà, il met­tait l’accent sur l’articulation de la jouis­sance, du savoir et de l’objet a – « son res­sort unique est tou­jours, bien enten­du, dans la façon dont se sont pré­sen­tés les dési­rs chez le père et chez la mère, c’est-à-dire dont ils ont effec­ti­ve­ment offert au sujet le savoir, la jouis­sance et l’objet a[5]».

L’enfant et sa mère

Lacan nous amène à abor­der l’enfant comme objet a, cause du désir mater­nel. Pourtant, de cette place, il lui faut bien se délo­ger s’il veut vivre. Sans consi­dé­rer ici la fonc­tion pater­nelle, que dire de la res­pon­sa­bi­li­té de l’enfant ? Né du signi­fiant et de la parole, bien­tôt l’en­fant, bien vite, ne se satis­fait plus de la réponse appor­tée à ses besoins. Aux besoins, il demande le rien de l’amour. La proxi­mi­té du sein mater­nel l’angoisse. Comment sor­tir du giron mater­nel ? Alors l’enfant crie. Par ses cris jacu­la­toires, l’enfant ne tente-t-il pas de faire recon­naître du dehors ce qu’il a de plus intime. Se fait-il si petit, l’enfant ter­rible ? N’est-ce pas cer­tains de ces enfants que la méde­cine clas­si­fi­ca­toire désigne d’hyperactifs, trouble défi­cit de l’attention/hyperactivité (TDAH)…

Mais l’agitation ne serait-elle pas plu­tôt un remède – au risque de défier la tran­quilli­té paren­tale, d’exaspérer. L’enfant en ces cir­cons­tances fait de son agir ce qui l’arrache à la cer­ti­tude de son angoisse[6]. Voici donc une pre­mière décli­nai­son de l’enfant ter­rible : l’enfant qui pleure, qui crie, qui bouge… La liste n’est pas exhaustive.

L’enfant et les signifiants

Le bain de lan­gage dans lequel gran­dit l’enfant, les dis­cours et paroles qui l’entourent deviennent bien vite enjeux de pou­voir. Aucune chance que l’inconscient, pas même celui de l’enfant, n’y échappe comme l’endroit du dis­cours du maître. Ou, pour le dire autre­ment, le lan­gage comme une « élu­cu­bra­tion de savoir sur la langue[7]», pour faire pas­ser de la jouis­sance au désir. Plus pré­ci­sé­ment encore, « le Nom-du-Père, c’est ce S1 qui vous per­met de fabri­quer du sens, avec de la jouis­sance […], le Nom-du-Père, en effet, c’est un S1, c’est-à-dire ce qui aide à rendre lisible les affaires, ça aide à rendre lisible la jouis­sance[8]. » À condi­tion que l’enfant y consente. Pour que cela devienne un mes­sage encore faut-il que l’enfant y croie. Or, il arrive que l’enfant refuse ses signifiants-maîtres de son des­tin. Il en refuse la marque. Que dire de ces enfants ? Se refu­sant d’entrer dans la trame de la famille, ils peuvent deve­nir aga­çants, éner­vants. Ce sont des enfants dits inso­lents, c’est-à-dire rebelles à l’ordre éta­bli qu’ils dénoncent dans sa fonc­tion de sem­blant. Ce sont aus­si des enfants en colère ou révol­tés, ne se satis­fai­sant pas de l’autorité offerte. Non qu’ils s’insurgent devant toute auto­ri­té, mais ils en vou­draient une autre, plus res­pec­tueuse de leur propre savoir, des mots qui les ont per­cu­tés, sans vou­loir se les faire arra­cher arbi­trai­re­ment, abu­si­ve­ment. Alors ce sont sûre­ment ces enfants qui sus­citent le regret des parents : « ne pas avoir les enfants qu’ils méritent[9]», les enfants à hau­teur de leurs idéaux. On cherche alors à les édu­quer, à les faire entrer dans le rang. En vain, sauf à ce que ces parents consentent à leur tour à s’enseigner de leurs enfants. Mieux vaut la pré­sence de l’analyste à leurs côtés. Nous ren­con­trons ici, au bord du drame fami­lial de la struc­ture névro­tique, des enfants qui se refusent de faire famil, à entendre comme la fonc­tion méta­pho­rique de la famille elle-même[10]. L’aliénation n’est-elle pas le nom laca­nien du refoulement ?

Le mal­en­ten­du

À l’issue de ce petit par­cours, nulle posi­tion mora­liste. C’est en effet tou­jours de signi­fiants dont il s’agit, de la façon dont les mots ont por­té, ont été enten­dus au-delà de leur signi­fi­ca­tion. Comme le dit Lacan, « L’homme naît mal­en­ten­du[11] ». Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, le mal­en­ten­du aura tou­jours l’avantage. Entre les dits paren­taux et l’entendu de l’enfant s’ouvre une béance que rien ne refermera.

Prendre appui sur le der­nier ensei­gne­ment de Lacan ouvre à de nou­velles pers­pec­tives. La pri­mau­té de l’Autre laisse place à la contin­gence de lalangue. Nous pour­rions ici conclure par une cita­tion de Daniel Roy à l’occasion d’une pré­cé­dente Journée de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant : « Interpréter l’enfant ». Dans son texte intro­duc­tif, il nous dit : « là où il y avait les idéaux impos­sibles à sup­por­ter pour le sujet, il y a désor­mais le corps et ses jouis­sances en excès, impos­sibles à sup­por­ter par l’Autre – parents, ensei­gnants, édu­ca­teurs[12]». Nouveau para­digme, non sans consé­quence sur la direc­tion de la cure. Une direc­tion nous invi­tant à prendre le che­min de la lec­ture plu­tôt que celui de l’écoute. Lire les signi­fiants plu­tôt qu’entendre les signi­fiés, pour avoir chance de les faire réson­ner autrement.

[1] Cocteau J., Les Enfants ter­ribles, Paris, Le Livre de poche, 1994.

[2] Cocteau J., Les Parents ter­ribles, Paris, Gallimard, 1972.

[3] Miller J.-A., « Les affects dans l’expérience ana­ly­tique », La Cause du désir, n°93, 2016, p. 108.

[4] Lacan J., Intervention dans une réunion orga­ni­sée par la Scuola freu­dia­na, à Milan, le 4 février 1973, dis­po­nible sur internet.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 332.

[6] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte éta­bli par J.-A Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 93.

[7] Miller J.-A., « Une psy­cha­na­lyse a struc­ture de fic­tion », La Cause du désir, n° 87, 2014, p. 74.

[8] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. Pièces déta­chées », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris 8, leçon du 19 jan­vier 2005, inédit.

[9] Cf. Cottet S., « Le roman fami­lial des parents », La Cause freu­dienne, n°65, 2007, p. 39.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 293.

[11] Lacan J., Le Séminaire, Dissolution, in Aux confins du Séminaire, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Navarin, coll. La Divina, 2021, p. 72–77.

[12] Roy D., « Énigme et défi » in Roy D. (s/dir.), Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 10.

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