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Zappeur JIE7

La boussole du malentendu

Zappeur n° 19
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La recherche du labo­ra­toire du CIEN, « De la filia­tion à l’affiliation [1] », ados­sée à la mise en jeu des pra­tiques sociales concer­nant la famille contem­po­raine, met en lumière que, dans ce monde où la haine et la peur semblent avoir eu rai­son du « vivre ensemble », où le patriar­cat est pas­sé dans l’histoire et où les poli­tiques de paren­ta­li­té ont sup­plan­té celles de la famille, les parents sont tou­jours plus débous­so­lés et les enfants débordés.

Faut-il entendre que, du temps de l’Autre, les parents n’avaient aucune dif­fi­cul­té à éle­ver leurs enfants qui, eux, étaient de ce fait, sages comme des images ? Que nen­ni ! L’enseignement de Lacan indique que le réel cogne et varie à chaque époque. Au temps de la monar­chie de droit divin, l’enfant vit très peu de temps au sein de sa famille. Dans la France rurale dans laquelle se déve­loppent les échanges com­mer­ciaux et la cir­cu­la­tion de l’argent, l’enfant, s’il n’est pas décé­dé en bas âge, tra­vaille très jeune à la ferme ou dans le com­merce et l’artisanat. Dès l’âge de 8 ans, il est sou­vent « loué » par sa famille pour effec­tuer des tra­vaux dans des contrées loin­taines. Les quelques enfants de la noblesse sont, eux, sou­mis à leur pré­cep­teur. Avec la Révolution indus­trielle, l’enfant devient une main d’œuvre recher­chée, docile et peu rémunérée.

En 1938, dans son texte « Les com­plexes fami­liaux dans la for­ma­tion de l’individu [2] », Lacan concep­tua­lise la famille en tant qu’institution et ins­crit en son sein le malaise. Aujourd’hui que devient-elle, com­ment se présente-t-elle ? Y trouve-t-on encore une place pos­sible pour l’enfant ? Le mal­en­ten­du sur lequel elle se fonde peut-il encore ser­vir de boussole ?

Les parents érein­tés qui démis­sionnent face à la vio­lence de leur enfant poussent à inter­ro­ger les effets de la poli­tique de paren­ta­li­té. Tel le chant du cygne, cette poli­tique tente de rafis­to­ler l’autorité pater­nelle de longue date englou­tie, de répondre aux nou­velles formes de la famille et au nou­veau sta­tut de l’enfant. 

Des tra­vaux pré­pa­ra­toires à la JIE7, une ques­tion peut se déga­ger au-delà de la poli­tique de paren­ta­li­té qui prône la ges­tion de la famille : qua­li­fier les parents d’exaspérés et les enfants de ter­ribles ferait-il signe du vivant ? Alors s’agirait-il dans la cli­nique ana­ly­tique d’exaspérer les parents pour les sor­tir de l’abandon et de rendre ses lettres de noblesse à l’enfant ter­rible afin de l’extraire de la pul­sion de mort ?

Au cours d’un stage de for­ma­tion du CIEN dans un ser­vice de pédo­psy­chia­trie, s’entendait com­bien les jeunes soi­gnés étaient lami­nés comme jamais par le déses­poir tout autant que leurs parents, alors que ces der­niers se retrou­vaient réduits au signi­fiant « parent ». Les pro­fes­sion­nels déso­rien­tés bana­lisent cet état de fait, ten­tant ain­si de se pro­té­ger du réel, mais en vain : celui-ci n’a de cesse de les tarau­der. Dans le stage, par le biais de la conver­sa­tion inter­dis­ci­pli­naire orien­tée par le dis­cours ana­ly­tique, une res­pi­ra­tion s’amorce, une lueur com­mence à poindre. Certains s’autorisent, voire consentent, à orien­ter leur posi­tion d’intervenant à par­tir du malentendu.

Récemment, des parents viennent à un rendez-vous pour leur fils qu’ils n’ont pas pu ame­ner avec eux. Lors de l’entretien, ils disent d’une seule voix à l’analyste que c’est leur ultime ten­ta­tive pour sor­tir leur fils de 16 ans de la vio­lence tout en pré­ci­sant qu’ils n’y croient pas. Dès sa prime enfance, ce jeune a ren­con­tré de grandes dif­fi­cul­tés dans son lien à l’autre. Les parents insistent sur le fait qu’ils ne veulent à aucun prix le contra­rier de peur qu’il puisse être hos­pi­ta­li­sé. Ils réa­lisent alors que l’hospitalisation n’a d’ailleurs jamais été envi­sa­gée ni par les méde­cins ni par les dif­fé­rents pra­ti­ciens de la réédu­ca­tion qui ont sui­vi leur enfant ni dans les groupes de paren­ta­li­té aux­quels ils ont pu participer.

L’entretien met en relief des diver­gences dans le dis­cours des parents. La mère subit régu­liè­re­ment, et depuis long­temps, les insultes et les bous­cu­lades de son fils, elle se met alors à repro­cher de façon viru­lente à son mari de ne pas inter­ve­nir pour la pro­té­ger. Le père, d’une voix neutre, dit qu’il agit ain­si dans le but de ne pas déchaî­ner plus de vio­lence, en par­ti­cu­lier parce que leur fille, de 2 ans plus jeune que son frère, assiste à ces scènes. Dans l’après-coup de cet entre­tien, suite à un nou­veau pas­sage à l’acte de leur fils, leur fille leur deman­de­ra de venir me par­ler. Je la reçois depuis. Elle parle de sa peur de la vio­lence de son frère à son égard, mais aus­si de son atta­che­ment à lui et de son angoisse devant la démis­sion de ses parents. Au-delà, elle repère aus­si que la grande dif­fi­cul­té fami­liale qui gra­vite autour de son frère n’est pas la seule cause de son extrême solitude…

Le signifiant-maître de « parent » laisse aux oubliettes les signi­fiants « mère », « père », et la place et la fonc­tion qui peuvent s’y atta­cher. Ce signi­fiant for­clôt la ques­tion sexuelle. La fra­trie, elle, passe à la trappe. Ainsi, le réel dénié ne cesse de faire retour avec féro­ci­té aus­si bien chez cha­cun des parents et que chez l’enfant.

Mais la famille, comme le rap­pelle Éric Zuliani, « n’est pas qu’affaire de lois et de règles [3] », ni une affaire de ges­tion d’ailleurs.

De la pra­tique cli­nique en ins­ti­tu­tion ou en cabi­net auprès des enfants, pas sans les parents, un constat se fait jour. Après quelques vaines ten­ta­tives de réédu­ca­tion des troubles pré­sen­tés par l’enfant, des parents com­man­dés par le débor­de­ment pul­sion­nel de leur enfant aban­donnent et s’abandonnent dans un renon­ce­ment dif­fi­cile à entamer.

Lacan indique que « L’analyste, lui, a pour mis­sion de le contrer [4] », le réel, en fai­sant offre de parole et de pré­sence tout en ayant le mal­en­ten­du comme bous­sole. Au fon­de­ment de l’être par­lant, il y a ce qui ne va pas et qui n’ira jamais, le symp­tôme qui en est la condi­tion. Chacun dans la famille ne peut se réduire à sa struc­ture sym­bo­lique, quelque chose d’énigmatique y résiste qui signe la dif­fé­rence radi­cale de chaque-un.

Pour l’éducation freu­dienne, au-delà des poli­tiques sociales, au-delà des besoins édu­ca­tifs, la trans­mis­sion en jeu dans la famille est nouée à la fonc­tion du désir et à l’amour. Mère, père sont des posi­tions inte­nables pour la psy­cha­na­lyse en tant que chez leur enfant, quelque chose leur échappe et bous­cule leur dite paren­ta­li­té. Pour rendre compte de ce quelque chose qui, chez l’enfant, ne s’éduquera jamais, Freud théo­rise la pulsion.

Et c’est à par­tir de la consi­dé­ra­tion pour cette sin­gu­la­ri­té de chaque être affec­té par la parole que l’enfant a chance de gran­dir et de sor­tir de l’enfance vers sa res­pon­sa­bi­li­té propre.

[1] Laboratoire inter­dis­ci­pli­naire en for­ma­tion du CIEN, « De la filia­tion à l’affiliation », Clermont-Ferrand.

[2] Lacan J., « Les com­plexes fami­liaux dans la for­ma­tion de l’individu » (1938), Écrits, Paris, Seuil, 2001.

[3] Zuliani É., « En famille : du bruit et des éclats », dis­po­nible sur le site de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant.

[4] Lacan J., La Troisième, Paris, Navarin, 2021, coll. La Divina, p. 23.

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