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L’enfant terrible est sans loi

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Comment inter­pré­ter le titre de la pro­chaine Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’enfant du Champ freu­dien, et plus spé­cia­le­ment l’ordre qui marque ses deux élé­ments, le pre­mier, sous le syn­tagme « parents exas­pé­rés » et le second sous celui d’« enfants ter­ribles » ? Est-ce un hasard que la pro­po­si­tion ne mette pas l’enfant ter­rible comme effet de l’exaspération des parents ? Est-ce pour nous indi­quer qu’il n’y a pas de lien cau­sal entre les deux, alors que, pré­ci­sé­ment, le couple parents exaspérés–enfants ter­ribles semble avoir une cer­taine consistance ?

L’argument de Valeria Summer-Dupont[1] va dans ce sens. L’exaspération des parents n’est pas connec­tée à l’enfant ter­rible. Les deux ne sont pas logi­que­ment noués. Encore faut-il insis­ter sur le fait qu’ils ne le sont pas pour le psy­cha­na­lyste orien­té par le réel, car pour les parents, ils font symp­tôme au moins pour ceux qui consi­dèrent que le com­por­te­ment de leur enfant agit sur eux, les agite, voire les exas­père. Dans cet exas­père, s’entend père, avec la pré­po­si­tion ex (sor­tir de). On pour­rait l’entendre comme ce qui s’extrait, sort du père. À le prendre par ce bout, on fait une hypo­thèse, celle d’entrevoir ce qui ferait sup­port au trait d’union du titre.

 

L’enfant ter­rible est indéchiffrable

Qu’est-ce qu’un enfant ter­rible ? Ce signi­fiant vient du latin, ter­ri­bi­lis, qui signi­fie effrayant, épou­van­table. L’enfant ter­rible effraie son entou­rage. Il le fait par la mani­fes­ta­tion de crises de colère incoer­cibles, de com­por­te­ments agres­sifs et, sur­tout, il n’a peur de per­sonne. Il est sans loi. C’est un enfant hors sens. C’est en cela qu’il devient vite exas­pé­rant et peut pro­vo­quer en retour de la vio­lence ver­bale, voire phy­sique, chez ses parents ou son entou­rage. Il n’est pas déchif­frable. Ses parents, ne sai­sis­sant pas le sens de ses colères et de l’agitation qui s’empare de lui, cherchent par tous les moyens à mettre du sens là où, bien sou­vent, il s’agit de mani­fes­ta­tions hors-sens. L’enfant ne sait pas lui-même ce qui motive sa crise. Lorsque la demande de l’Autre n’est pas audible, le refus n’est pas tant à entendre comme un non, mais comme un impos­sible. Rien ne peut être deman­dé à l’enfant. Le ver­dict est sans appel. Le rien ne répond pas à un désir, mais à un vide. C’est le vide du hors sens. Cependant, il peut se pro­duire une autre ver­sion du refus de la demande lorsque l’enfant est plus âgé. Quand la demande est éprou­vée comme une contrainte, un ordre, une menace, un chan­tage, une injus­tice, son refus ren­force alors l’exclusion du sujet. Parfois, un des parents s’en rend compte. Il trouve dans ce trait d’exclusion, une iden­ti­fi­ca­tion à sa propre sub­jec­ti­vi­té. On peut alors rele­ver que le S1 exclu­sion est le signi­fiant du parent mis en acte dans le symp­tôme de l’enfant, et envi­sa­ger que ce der­nier soit une parole « flé­chée[2]», qui condamne à l’exclusion.

Il est exclu du sens

L’enfant ter­rible épou­vante, mais il est lui aus­si bien sou­vent épou­van­té par l’Autre auquel il a à faire. Disons qu’il n’a d’autre recours que de mani­fes­ter sa pré­sence par une décharge de vio­lence qui le sub­merge. N’ayant pas sym­bo­li­sé le manque, il est alors agi par la pul­sion. Celle-ci le domine. Il est son point de bas­cule, pris en tenaille dans son tra­jet d’aller-retour répé­ti­tif. Lacan pré­cise que Freud parle du Reiz, d’une exci­ta­tion qui fait la pous­sée de la pul­sion : « Le Reizdont il s’agit concer­nant la pul­sion est dif­fé­rent de toute sti­mu­la­tion venant du monde exté­rieur, c’est un Reiz interne[3]». Dès lors, on peut avan­cer que ce qui agite l’enfant, c’est son Reiz interne.

D’où cela vient-il ? Qu’est-ce qui se passe ? demandent les parents à l’analyste. La réponse est sou­vent don­née par les parents eux-mêmes : « On a fina­le­ment com­pris qu’il ou elle fai­sait sa crise et qu’elle s’arrêterait toute seule ». De fait, la crise est une agi­ta­tion qui mani­feste la pul­sion de mort à l’œuvre. De ce point de vue, le symp­tôme de l’enfant ne répond pas à la défi­ni­tion de Lacan de « repré­sen­ter la véri­té du couple fami­lial[4]». Non seule­ment il n’est pas pris dans les signi­fiants de l’Autre, mais ce qu’on lui dit n’a aucun effet sur lui. Il est sourd à l’Autre, car il n’est pas connec­té à sa langue. Il pleure, crie et se heurte à l’impossible. Parfois, les parents l’interprètent en lui don­nant une posi­tion d’enfant qui souffre. Et ils sont désem­pa­rés quand leur « empa­thie », pour reprendre un concept à la mode, n’y change rien.

L’Autre exclut-il ou l’autre s’exclut-il ?

Les consé­quences peuvent en être dou­lou­reuses. L’enfant peut deve­nir l’objet a, le mau­vais objet, détes­té, voire reje­té, mais aus­si le kakon[5], dont parle Lacan, cet objet extime, qu’on rejette. L’angoisse qu’il ins­pire peut se muer en défense inter­dic­trice – une façon de ne pas le lais­ser empié­ter sur la vie fami­liale. En se pro­té­geant, les parents isolent sou­vent l’enfant de sa fra­trie, et aus­si de leur espace. Parfois, un vœu de mort ou de rejet se dévoile. L’enfant ter­rible est un symp­tôme qui relève d’un réel sans loi et il pro­voque le rejet. Il devient une plaie. Le com­por­te­men­ta­lisme s’en est sai­si : en don­nant un diag­nos­tic « neu­ro », en trai­tant l’enfant avec de la Ritaline, il par­achève le non-rapport entre les parents et l’enfant. Ce dis­cours en fait une non-écriture. Est-ce l’Autre qui exclut ? Ou l’autre qui s’est exclu ? Pour le com­por­te­men­ta­lisme, cette ques­tion est un non-sens, mais pour la psy­cha­na­lyse, ce point est crucial.

Le Un du couple parental

Daniel Roy[6] note très jus­te­ment qu’aujourd’hui la famille est une inven­tion sin­gu­lière. Il faut donc l’accueillir avec son bri­co­lage propre. L’enfant ter­rible est une consé­quence actuelle des dis­cours sur­moïques qui impulsent un mythe autour de l’amour pour l’enfant comme pas­sion sans limite. Tout pour lui. Les parents confron­tés à leur enfant ter­rible, deviennent anxieux, apeu­rés quand celui-ci ne répond plus à leur bafouillage. Ils déve­loppent une peur de l’enfant qui les culpa­bi­lise. Cette peur prend la forme de l’exaspération. L’enfant ter­rible, lui, répond à ce qu’en amour, on ne donne pas autre chose que son manque. L’enfant est mis à cette place. Il l’occupe. Le manque vient à man­quer pour lui qui ne peut se construire qu’à par­tir des deux manques de ses parents. Il devient ter­rible pour ne pas être la proie de leur jouis­sance d’Un-séparation. Quand les parents font Un, l’enfant a des rai­sons de faire Un sans eux, Un sans Autre.

[1]Sommer-Dupont V., « Des parents en ques­tion », argu­ment de la 7e Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien, dis­po­nible sur internet.

[2]Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p.164.

[3]Ibid., p.149.

[4]Lacan J. « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.373.

[5]Lacan J., « L’agressivité en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.115.

[6]Roy D., « Parents exas­pé­rés – Enfants ter­ribles », textes d’orientation vers la 7e Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’enfant du Champ freu­dien, dis­po­nible sur inter­net (ins​ti​tut​-enfant​.fr).

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