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L’institution au temps des protocoles

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Les rela­tions des parents avec l’institution accueillant leur enfant se sont pro­fon­dé­ment modi­fiées depuis plu­sieurs années. Elles tra­duisent ain­si les rema­nie­ments qui se sont opé­rés dans la famille et dans la socié­té. L’institution est aujourd’hui en pro­cès per­ma­nent, elle est mal­trai­tante, ne res­pecte pas les droits des parents, les culpa­bi­lise à tort, et n’emploie pas les bonnes méthodes. Il faut à tout prix faire dis­pa­raître ces restes d’un monde dépas­sé et per­mettre enfin à tout enfant de vivre sa vie dans le monde com­mun, dans un monde qui serait désor­mais inclu­sif. Si l’enfant est ter­rible, cela relève d’un trouble qui se niche dans les pro­fon­deurs du cer­veau, et si les parents sont exas­pé­rés, c’est contre une ins­ti­tu­tion qui n’applique pas les bonnes méthodes, qui n’est pas au cou­rant des der­nières avan­cées de la science et qui n’entend pas suf­fi­sam­ment les conseils et les remarques que lui font les parents. Il me semble que nous pou­vons prendre la « bataille de l’autisme » comme para­digme de ce mou­ve­ment qui se déroule depuis près de cin­quante ans main­te­nant. Son objec­tif est clair, faire dis­pa­raître non seule­ment l’institution, mais cette expé­rience d’un autre temps : la psychanalyse.

Il faut recon­naître que cette opé­ra­tion d’éradication de la psy­cha­na­lyse dans les ins­ti­tu­tions est en bonne voie de réus­sir, au moment même où la consis­tance des ins­ti­tu­tions est sou­mise à l’émiettement, voire à la dis­so­lu­tion. Cette trans­for­ma­tion à marche for­cée s’accompagne d’ailleurs d’une pro­fonde crise de ce sec­teur de l’activité humaine. Il n’attire plus désor­mais les voca­tions, cha­cun se repliant sur ses droits propres. L’idéal de fra­ter­ni­té qui don­nait consis­tance à ces tra­jec­toires de vie ne fait désor­mais plus recette. Faut-il le regret­ter ? Il ne me semble pas. Il vaut mieux consi­dé­rer ces chan­ge­ments en pre­nant en compte la dimen­sion du symp­tôme. Pour le dire sim­ple­ment, cela ne marche pas. Les experts ont beau mul­ti­plier les rap­ports, com­plexi­fier les pro­to­coles, accroître com­pul­si­ve­ment les recom­man­da­tions, éva­luer les moindres recoins des actions tris­te­ment humaines, accu­mu­ler les don­nées pour en extraire des cer­ti­tudes, cela ne fonc­tionne pas, ne marche pas, et rend pos­sible à tout moment la sur­ve­nue du scandale.

En fait, l’institution, celle de notre champ, est avant tout une ins­ti­tu­tion du temps révo­lu du Nom-du-Père. Ayant pour voca­tion de remé­dier aux sup­po­sées carences paren­tales, elle tirait sa force et sa fai­blesse d’une impo­si­tion du sym­bo­lique sur l’imaginaire. Son échec est de ne pas avoir su cer­ner le réel en jeu dans sa rela­tion aus­si bien à l’enfant qu’à ses parents. Réel qui ne pou­vait s’entendre dans les dis­cours qui lui tenaient lieu d’idéologie. Son déclin accom­pagne donc celui du Père sur lequel elle se fon­dait pour cou­vrir l’inévitable sur­gis­se­ment de la jouis­sance. Le dis­cours de la science tente désor­mais de parer à ce défaut en rédui­sant l’institution à des tech­niques trou­vant leur rai­son en son sein. Mais cela ne résonne guère pour ceux qui sont encore en quête de sens. D’où l’effet de désen­chan­te­ment qui se répand dans les institutions.

Prendre appui sur le symp­tôme, plu­tôt que sur la pro­messe de len­de­mains qui chantent le triomphe de l’inclusion – alors qu’elle creuse les sen­tiers de la ségré­ga­tion –, c’est avoir chance de cer­ner le réel qui est au cœur de la rela­tion entre l’institution, les parents et l’enfant.

Jacques Lacan, en 1967, au moment même où ce rema­nie­ment com­mence à s’opérer, en donne déjà les lignes de force dans son « Allocution sur les psy­choses de l’enfant ». L’institution n’est plus le lieu où doit s’exercer l’interdiction rele­vant de la méta­phore pater­nelle, ce n’est plus un lieu que la jouis­sance a déser­té. Le fon­de­ment de l’institution, c’est, à l’envers, la jouis­sance. Il s’agit alors non plus de l’interdire, mais de la frei­ner, de lui don­ner une limite. Dès lors, l’institution est le lieu où peut se cer­ner, s’écrire, s’inscrire, voire se trai­ter ce rap­port en impasse de chaque un, parent ou enfant, avec la jouis­sance. Ce que le recours du dis­cours ins­ti­tu­tion­nel au Père venait voi­ler en sub­sti­tuant l’idéal, à savoir, la norme de la cas­tra­tion, se dévoile enfin. Il s’agit avant tout que l’enfant « ter­rible » n’incarne pas l’objet de la jouis­sance de l’Autre, que ce soit au niveau de la famille ou à celui de l’institution. C’est à ce point, à ce lieu indi­cible, que le dis­cours ana­ly­tique fait retour d’être le seul à per­mettre de cer­ner l’ex-sistence de l’objet en cause[1]. Il s’agit là de la seule inclu­sion valable, celle qui se situe en dehors des lois de l’universel, et se fonde sur la sin­gu­la­ri­té du rap­port à l’extime, per­met­tant l’ad­ve­nue d’une créa­tion, d’un lien social inédit.

Comment peut-on opé­rer à l’aune de la nov­langue des pro­to­coles, qui existe tout en étant exclue du dis­cours com­mun ? En s’appuyant jus­te­ment sur lalangue, les langues aus­si bien de l’enfant, que celles de ses parents, mais aus­si de celles des inter­ve­nants. Cette langue qui garde la trace, la marque, des ren­contres de cha­cun avec la jouis­sance, avec la per­cus­sion du signi­fiant sur le corps. S’enseigner de la langue de cha­cun, en se ren­dant dis­po­nible à l’ensemble des équi­voques qui y résonnent, c’est ouvrir l’espace où la contin­gence d’un retour­ne­ment peut s’opérer. C’est consen­tir à se faire le par­te­naire d’une ren­contre où le symp­tôme se rebrousse en effets de créa­tion pour reprendre l’expression de Lacan. L’enfant de « ter­rible » se trans­forme en un éclair en créa­teur, fai­sant ain­si se dis­soudre les rai­sons de l’exaspération des parents. Désormais, il ne les exas­père plus, il les épate, ce qui pro­duit une satis­fac­tion ren­voyant cha­cun à la soli­tude de son propre rap­port à la jouis­sance. Ce qui n’est pas un mal­heur, mais la condi­tion pour qu’une contin­gence puisse adve­nir de nou­veau. C’est en effet à ce lieu que se pro­duit la joie que nous trou­vons dans notre tra­vail, pour reprendre là encore une indi­ca­tion de Lacan.

Une ins­ti­tu­tion se réfé­rant à la psy­cha­na­lyse au temps du dis­cours de la science, on peut pen­ser que c’est une aber­ra­tion, un scan­dale, une sur­vi­vance. C’est avant tout un symp­tôme, ni une norme, ni un idéal, ni un modèle. Son seul mérite, c’est d’exister, comme lieu où peut se tis­ser une créa­tion, une inven­tion entre « ter­rible » et « exas­pé­ra­tion » des­si­nant pour cha­cun un rap­port viable, même s’il reste pré­caire, entre la langue et la jouissance.

[1] Lacan J., « Allocution sur les psy­choses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 366.

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