Menu
Zappeur JIE7

« Parentalité positive », négatif du désir ?

Zappeur n° 17
image_pdfimage_print

Une nou­velle bataille média­tique occupe l’opinion pédago-éducative. Début octobre, une série de fausses infor­ma­tions laisse entendre que le Conseil de l’Europe envi­sage d’interdire l’envoi d’un enfant dans sa chambre ou au coin. Bien qu’infondée et démen­tie, cette dés­in­for­ma­tion a très vite été relayée[1] par les médias, ouvrant un débat qui, depuis, conti­nue[2]. Controverse ouverte entre, d’un côté, les défen­seurs de la paren­ta­li­té posi­tive, plus pré­ci­sé­ment de la « paren­ta­li­té exclu­si­ve­ment posi­tive », qui pros­crivent le fait de mettre un enfant dans sa chambre, et de l’autre côté ceux en faveur du time-out aus­si appe­lé « temps-mort ».

Une tri­bune est depuis peu en ligne – les signa­taires en sont nom­breux, de toutes obé­diences cli­niques, s’insurgeant pour dénon­cer la paren­ta­li­té « “exclu­si­ve­ment” posi­tive » et défendre « une paren­ta­li­té ferme et bien­veillante[3]».

En France, la loi recon­naît que cer­tains enfants sont vic­times de vio­lences intra­fa­mi­liales. La légis­la­tion conti­nue d’ailleurs d’évoluer à ce sujet, sta­tuant ces der­nières années à la fois sur le sta­tut de vic­time des enfants expo­sés à de la vio­lence (novembre 2021) et le fait que l’autorité paren­tale s’exerce sans vio­lence phy­sique ou psy­cho­lo­gique (juillet 2019). Si ces évo­lu­tions récentes font état d’avancées sur la ques­tion des mal­trai­tances, elles ouvrent cepen­dant aus­si l’espace aux chantres des méthodes dites positives.

Que les cou­rants de la paren­ta­li­té posi­tive nous viennent d’Amérique du Nord ne sur­prend pas. Le capi­ta­lisme a à la fois des méthodes à vendre, tout autant que son dis­cours pro­meut l’illimité. La paren­ta­li­té posi­tive est ain­si une déri­vée de la psy­cho­lo­gie posi­tive nord-américaine basée sur les émo­tions et la recherche du bien-être – elle veut le bien d’autrui à tout prix. Son essor a été ful­gu­rant, assor­ti de sa dimen­sion com­mer­ciale (pro­grammes paren­taux, coa­ching, stages, etc.) Relevons quelques axes prin­ci­paux de cette doc­trine : ne pas contraindre l’enfant, être au dia­pa­son de ses émo­tions et de ses besoins, se mon­trer bien­veillant en toutes cir­cons­tances, toute forme de répri­mande est poten­tiel­le­ment vécue comme une humi­lia­tion et/ou de la vio­lence par l’enfant. Le tout appuyé sur l’argumentaire : « à par­tir des plus récentes recherches neuroscientifiques ».

Au regard des impasses et des polé­miques, « la fer­me­té » et « l’affirmation » sont deve­nus les nou­veaux signi­fiants com­pa­gnons de la paren­ta­li­té posi­tive : « il s’agira de ne pas vous lais­ser mar­cher sur les pieds[4]». Et de fait, une dis­tinc­tion se pro­duit depuis peu entre paren­ta­li­té posi­tive et paren­ta­li­té exclu­si­ve­ment posi­tive, ce der­nier cou­rant ne se retrou­vant pas dans la fer­me­té et l’affirmation du premier.

Or nous savons, avec Lacan, que la jouis­sance n’advient au désir qu’à la faveur pour le sujet de l’éprouvé d’altérités plu­ra­li­sées, étant par ailleurs atten­du que ces alté­ri­tés puissent être en mesure de venir mettre un frein à la pul­sion. Comme le rap­pelle Angèle Terrier, la gêne du parent signe tou­jours le vouloir-jouir de l’enfant[5]. Ici, la psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne per­met ain­si de sor­tir de l’impasse du pour ou du contre le fait d’envoyer un enfant dans sa chambre. À consi­dé­rer l’enfant comme objet a[6], nous pou­vons nous inté­res­ser à son trai­te­ment par­ti­cu­lier en tant qu’objet de jouis­sance pour cha­cun de ses parents. Éric Laurent rap­pelle que « la posi­tion psy­cha­na­ly­tique consiste à main­te­nir le sujet à dis­tance de l’idéal et à inter­ro­ger le réel en jeu dans la nais­sance de l’enfant, c’est-à-dire le désir ou la jouis­sance dont il est le pro­duit[7]».

Il va ain­si sans dire, qu’au plus proche de la cli­nique, il n’y a pas à prendre posi­tion pour ou contre, mais plu­tôt à por­ter l’attention aux moyens que trouve un parent pour refrei­ner la jouis­sance de l’enfant, mais aus­si la sienne. Il s’agit alors d’élucider ce qui se joue du côté du fan­tasme dans le rap­port à l’enfant et les moda­li­tés que chaque adulte met en acte pour s’en occuper.

Rappelons par ailleurs ici le pré­cieux point d’orientation avan­cé par J.-A. Miller à pro­pos des péda­go­gismes : « Il revient à l’Institut de l’Enfant de déga­ger dans l’éducation la fonc­tion que tient le désir de l’Autre. Cela veut dire aus­si mettre en ques­tion la jouis­sance des péda­gogues, leur jouis­sance infâme à opé­rer par le biais des sem­blants du savoir sur la jouis­sance de l’enfant. La ver­tu des péda­gogues n’est sou­vent que l’habillage d’une jouis­sance que, même s’ils ne la connaissent pas, peut être qua­li­fiée de sadique, avec les effets d’angoisse qui s’en suivent sur l’éduqué[8]».

[1] Cf. Meteyer M., « “File dans ta chambre !” : un ordre que les parents ne pour­ront bien­tôt plus don­ner ? », Le Figaro, 12 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[2] « File dans ta chambre ! Une puni­tion trop vio­lente ? » France Inter, 27 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[3] Tribune col­lec­tive, « “La dérive de la paren­ta­li­té ‘exclu­si­ve­ment’ posi­tive doit être dénon­cée” », Le Figaro, 28 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[4] Brochure TePaPo® dis­po­nible en Maison des solidarités.

[5] Cf. Terrier A., in « La pra­tique psy­cha­na­ly­tique avec les enfants en ins­ti­tu­tion », confé­rence orga­ni­sée par l’ACF Midi-Pyrénées, Toulouse, 10 sep­tembre 2022, inédit, en réfé­rence à : Grasser Y., « L’événementiel laca­nien », La Petite Girafe, n°28, octobre 2008, p. 100–105.

[6] Cf. Brousse M.-H., « Un néo­lo­gisme d’actualité : la paren­ta­li­té », La Cause freu­dienne, n°60, juin 2005, p. 115–123, dis­po­nible sur Cairn.

[7] Laurent É., « L’enfant à l’envers des familles », La Cause freu­dienne, n°65, mars 2007, p. 49–55, dis­po­nible sur Cairn.

[8] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », in Roy D. (s/dir.), Peurs d’enfants, Paris, Navarin, coll. La Petite Girafe, 2011, p. 17.

Podcast
Vers la JIE7
Actualités
Affiche de la journée

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.