8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Zappeur JIE7

« Parentalité positive », négatif du désir ?

Zappeur n° 17
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Une nou­velle bataille média­tique occupe l’opinion pédago-éducative. Début octobre, une série de fausses infor­ma­tions laisse entendre que le Conseil de l’Europe envi­sage d’interdire l’envoi d’un enfant dans sa chambre ou au coin. Bien qu’infondée et démen­tie, cette dés­in­for­ma­tion a très vite été relayée[1] par les médias, ouvrant un débat qui, depuis, conti­nue[2]. Controverse ouverte entre, d’un côté, les défen­seurs de la paren­ta­li­té posi­tive, plus pré­ci­sé­ment de la « paren­ta­li­té exclu­si­ve­ment posi­tive », qui pros­crivent le fait de mettre un enfant dans sa chambre, et de l’autre côté ceux en faveur du time-out aus­si appe­lé « temps-mort ».

Une tri­bune est depuis peu en ligne – les signa­taires en sont nom­breux, de toutes obé­diences cli­niques, s’insurgeant pour dénon­cer la paren­ta­li­té « “exclu­si­ve­ment” posi­tive » et défendre « une paren­ta­li­té ferme et bien­veillante[3]».

En France, la loi recon­naît que cer­tains enfants sont vic­times de vio­lences intra­fa­mi­liales. La légis­la­tion conti­nue d’ailleurs d’évoluer à ce sujet, sta­tuant ces der­nières années à la fois sur le sta­tut de vic­time des enfants expo­sés à de la vio­lence (novembre 2021) et le fait que l’autorité paren­tale s’exerce sans vio­lence phy­sique ou psy­cho­lo­gique (juillet 2019). Si ces évo­lu­tions récentes font état d’avancées sur la ques­tion des mal­trai­tances, elles ouvrent cepen­dant aus­si l’espace aux chantres des méthodes dites positives.

Que les cou­rants de la paren­ta­li­té posi­tive nous viennent d’Amérique du Nord ne sur­prend pas. Le capi­ta­lisme a à la fois des méthodes à vendre, tout autant que son dis­cours pro­meut l’illimité. La paren­ta­li­té posi­tive est ain­si une déri­vée de la psy­cho­lo­gie posi­tive nord-américaine basée sur les émo­tions et la recherche du bien-être – elle veut le bien d’autrui à tout prix. Son essor a été ful­gu­rant, assor­ti de sa dimen­sion com­mer­ciale (pro­grammes paren­taux, coa­ching, stages, etc.) Relevons quelques axes prin­ci­paux de cette doc­trine : ne pas contraindre l’enfant, être au dia­pa­son de ses émo­tions et de ses besoins, se mon­trer bien­veillant en toutes cir­cons­tances, toute forme de répri­mande est poten­tiel­le­ment vécue comme une humi­lia­tion et/ou de la vio­lence par l’enfant. Le tout appuyé sur l’argumentaire : « à par­tir des plus récentes recherches neuroscientifiques ».

Au regard des impasses et des polé­miques, « la fer­me­té » et « l’affirmation » sont deve­nus les nou­veaux signi­fiants com­pa­gnons de la paren­ta­li­té posi­tive : « il s’agira de ne pas vous lais­ser mar­cher sur les pieds[4]». Et de fait, une dis­tinc­tion se pro­duit depuis peu entre paren­ta­li­té posi­tive et paren­ta­li­té exclu­si­ve­ment posi­tive, ce der­nier cou­rant ne se retrou­vant pas dans la fer­me­té et l’affirmation du premier.

Or nous savons, avec Lacan, que la jouis­sance n’advient au désir qu’à la faveur pour le sujet de l’éprouvé d’altérités plu­ra­li­sées, étant par ailleurs atten­du que ces alté­ri­tés puissent être en mesure de venir mettre un frein à la pul­sion. Comme le rap­pelle Angèle Terrier, la gêne du parent signe tou­jours le vouloir-jouir de l’enfant[5]. Ici, la psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne per­met ain­si de sor­tir de l’impasse du pour ou du contre le fait d’envoyer un enfant dans sa chambre. À consi­dé­rer l’enfant comme objet a[6], nous pou­vons nous inté­res­ser à son trai­te­ment par­ti­cu­lier en tant qu’objet de jouis­sance pour cha­cun de ses parents. Éric Laurent rap­pelle que « la posi­tion psy­cha­na­ly­tique consiste à main­te­nir le sujet à dis­tance de l’idéal et à inter­ro­ger le réel en jeu dans la nais­sance de l’enfant, c’est-à-dire le désir ou la jouis­sance dont il est le pro­duit[7]».

Il va ain­si sans dire, qu’au plus proche de la cli­nique, il n’y a pas à prendre posi­tion pour ou contre, mais plu­tôt à por­ter l’attention aux moyens que trouve un parent pour refrei­ner la jouis­sance de l’enfant, mais aus­si la sienne. Il s’agit alors d’élucider ce qui se joue du côté du fan­tasme dans le rap­port à l’enfant et les moda­li­tés que chaque adulte met en acte pour s’en occuper.

Rappelons par ailleurs ici le pré­cieux point d’orientation avan­cé par J.-A. Miller à pro­pos des péda­go­gismes : « Il revient à l’Institut de l’Enfant de déga­ger dans l’éducation la fonc­tion que tient le désir de l’Autre. Cela veut dire aus­si mettre en ques­tion la jouis­sance des péda­gogues, leur jouis­sance infâme à opé­rer par le biais des sem­blants du savoir sur la jouis­sance de l’enfant. La ver­tu des péda­gogues n’est sou­vent que l’habillage d’une jouis­sance que, même s’ils ne la connaissent pas, peut être qua­li­fiée de sadique, avec les effets d’angoisse qui s’en suivent sur l’éduqué[8]».

[1] Cf. Meteyer M., « “File dans ta chambre !” : un ordre que les parents ne pour­ront bien­tôt plus don­ner ? », Le Figaro, 12 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[2] « File dans ta chambre ! Une puni­tion trop vio­lente ? » France Inter, 27 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[3] Tribune col­lec­tive, « “La dérive de la paren­ta­li­té ‘exclu­si­ve­ment’ posi­tive doit être dénon­cée” », Le Figaro, 28 octobre 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[4] Brochure TePaPo® dis­po­nible en Maison des solidarités.

[5] Cf. Terrier A., in « La pra­tique psy­cha­na­ly­tique avec les enfants en ins­ti­tu­tion », confé­rence orga­ni­sée par l’ACF Midi-Pyrénées, Toulouse, 10 sep­tembre 2022, inédit, en réfé­rence à : Grasser Y., « L’événementiel laca­nien », La Petite Girafe, n°28, octobre 2008, p. 100–105.

[6] Cf. Brousse M.-H., « Un néo­lo­gisme d’actualité : la paren­ta­li­té », La Cause freu­dienne, n°60, juin 2005, p. 115–123, dis­po­nible sur Cairn.

[7] Laurent É., « L’enfant à l’envers des familles », La Cause freu­dienne, n°65, mars 2007, p. 49–55, dis­po­nible sur Cairn.

[8] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », in Roy D. (s/dir.), Peurs d’enfants, Paris, Navarin, coll. La Petite Girafe, 2011, p. 17.