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Zappeur JIE7

Pas d’enfance sans surmoi

Zappeur n° 30
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L’enfant, ter­rible, fait des caprices, il exige, il crie, il tape. Représentant la rai­son et le monde, les parents essayent de le convaincre de se plier aux règles, lui expliquent leur sens, insistent sur le fait que c’est pour son bien. Mais ces expli­ca­tions obtiennent rare­ment l’effet escomp­té. L’enfant, lui, hurle plus fort. Alors qu’ils com­mencent par s’expliquer, les parents ter­minent par s’exaspérer : « Ce n’est pas toi qui décides ! » Le recul de la fonc­tion pater­nelle avec sa teneur sym­bo­lique semble avoir rebat­tu l’éducation sur l’axe ima­gi­naire : c’est le plus fort qui impo­se­ra sa volonté.

Rien lui imposer

Qu’est-ce qui met si en dif­fi­cul­té le parent bien­veillant de notre époque ?

Par les expli­ca­tions qu’il donne à l’enfant, le parent compte obte­nir l’adhésion aux règles qu’il doit impo­ser. Mais jus­te­ment le seul fait qu’il s’en jus­ti­fie semble révé­ler son propre malaise avec le rôle qui lui revient. En défi­ni­tive qu’est-ce qui l’autoriserait à inter­ve­nir sur la jouis­sance d’autrui ? Au nom de quoi imposerait-on à l’enfant nos idées, nos dési­rs ? L’éducation contem­po­raine ne veillerait-elle pas plu­tôt à ce que l’enfant devienne lui-même, libre des déter­mi­na­tions et de la domi­na­tion de l’Autre ?

Dans la pro­mo­tion contem­po­raine de l’ego, l’« affir­ma­tion de soi » est encou­ra­gée. Le petit qui n’a rien cédé de son nar­cis­sisme, His majes­ty the baby évo­qué par Freud, fas­cine. Loin de l’idée selon laquelle le sujet n’est pas consti­tuant, mais consti­tué à par­tir de la chaîne signi­fiante[1], aujourd’hui, on attend des enfants qu’ils soient d’emblée eux-mêmes et que, sans prendre appui sur l’Autre, ils prennent à leur charge leurs déter­mi­na­tions. Toute entre­mise de l’Autre est sus­pecte. Voulant épar­gner aux enfants l’arbitraire de l’Autre, nous vou­lons leur lais­ser le choix de leurs marques et de leur identité.

Comme réponse à cette posi­tion, nous voyons appa­raître l’enfant ter­rible, livré à une exi­gence capri­cieuse dont il n’est pas sûr qu’elle soit la sienne.

Grains de sable

Mais, en défi­ni­tive, est-ce que l’organisme humain peut se régler tout seul, sans l’Autre ? Ce n’est pas l’avis de la psy­cha­na­lyse. Au contraire.

Pour élu­ci­der cette ques­tion, Lacan se réfère à un article du psy­cha­na­lyste Otto Isakower, On the excep­tio­nal posi­tion of the audi­to­ry sphere, dont il fait par ailleurs l’éloge. O. Isakower s’intéresse à un crus­ta­cé, la daph­nie, dont l’organe de l’équilibre néces­site l’incorporation de quelques grains de sable pour com­plé­ter sa struc­ture et s’orienter dans son envi­ron­ne­ment. Selon O. Isakower, ce méca­nisme de la daph­nie donne la clé pour com­prendre, chez les humains, des pro­ces­sus pré­coces et dif­fi­ciles à repré­sen­ter, notam­ment celui de l’identification pri­maire. Selon cet auteur, autant pour la daph­nie que pour l’être humain, une petite por­tion du monde exté­rieur doit être incor­po­rée pour la mise en place d’un organe interne qui assure l’orientation de l’individu dans le monde.

Lacan revien­dra à plu­sieurs reprises sur l’article d’O. Isakower pour éclair­cir, non pas le méca­nisme de l’identification, mais la manière dont s’incorpore cet objet étran­ger qu’est le sur­moi. En effet, pour Lacan, « le sur­moi est ce qui nous pose la ques­tion de savoir quel est l’ordre d’entrée, d’introduction, d’instance pré­sente, du signi­fiant qui est indis­pen­sable pour que fonc­tionne un orga­nisme humain[2]».

La voix de la rai­son, la voix du caprice

Si les rai­sons don­nées par les parents, aus­si claires et ration­nelles soient-elles, ne suf­fisent pas à leur confé­rer une auto­ri­té pour l’enfant, ceci tient aus­si au fait que le sens est impuis­sant à don­ner assise à une parole. « Dans l’enchaînement des causes et des effets, et des bonnes rai­sons qui pro­duisent des consé­quences, il y a un trou. Et, dans ce trou, sur­git, appa­raît, se mani­feste comme sans rai­son, un objet, un énon­cé qui est un objet déta­ché, et qui mérite d’être qua­li­fié d’objet petit a, le caprice-cause de ce qu’il y a à faire[3]», dit Jacques-Alain Miller.

Peut-on dire que dans la béance entre les « bonnes rai­sons » et les consé­quences se loge une dimen­sion tou­jours capri­cieuse du devoir ? Le déve­lop­pe­ment de Kant dans sa Critique de la rai­son pra­tique le laisse sup­po­ser. Alors qu’il s’efforce de résoudre de manière pure­ment logique le pro­blème de l’action morale, Kant assoie l’autorité ultime de la voix de la rai­son sur un simple « ain­si je le veux, ain­si je l’ordonne ». La rai­son pure à laquelle doit se plier l’action morale n’a pas à jus­ti­fier ses rai­sons. Elle s’impose à cha­cun dans son for intime comme une cer­ti­tude, sans plus d’explication. J.-A. Miller retrouve l’origine de l’expression latine emprun­tée par Kant, à savoir, sic volo, sic jubeo, dans la sixième des Satires de l’écrivain romain Juvénal. Ce der­nier emploie l’expression pour faire réfé­rence au pur caprice d’une femme qui s’arroge la posi­tion de faire, de sa volon­té, loi.

Ainsi, la loi com­porte une dimen­sion arbi­traire. Pour que la parole des parents ait une por­tée, il faut quelque chose qui échappe au sens et qui se rap­proche bien plus du caprice, du caprice comme objet cause. Un objet donne à la parole son lest.

Pas d’enfance sans surmoi

Ainsi, les bonnes inten­tions édu­ca­tives des parents contem­po­rains sont rat­tra­pées par l’insistance et les para­doxes de ce que Freud a iso­lé comme l’instance du sur­moi. Pas d’accès pos­sible à la posi­tion du sujet sans l’incorporation d’un Tu dois, racine de la parole et noyau du sur­moi. « Le sur­moi […] est la parole même, le com­man­de­ment de la loi, pour autant qu’il n’en reste plus que la racine. La loi se réduit toute entière à quelque chose qu’on ne peut même pas expri­mer, comme le Tu dois, qui est une parole pri­vée de tout sens[4]».

Aussi libre ou posi­tive soit l’éducation qu’on lui donne, l’enfant ne pour­ra pas échap­per au domi­na­teur sadique qu’est le sur­moi. Mieux vaut lui four­nir quelques marques d’un désir non ano­nyme pour que, de la loi du lan­gage, il accède à une ver­sion plus humanisée.

[1] Cf. Miller J.-A., « Lacan et la voix », Quarto, no 54, Bruxelles, École de la cause freu­dienne, juin 1994, p. 33.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre iii, Les psy­choses, Paris, Seuil, 1981, p. 214.

[3] Miller J.-A., « Théorie du caprice », Quarto, no 71, Bruxelles, École de la cause freu­dienne, août 2000, p. 10–11.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre i, Les écrits tech­niques de Freud, Paris, Seuil, 1975, coll. Points, p. 165.

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