8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Zappeur JIE7

Visite aux parents

Zappeur n° 18
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Dans le dis­cours cou­rant, le devoir de pro­tec­tion de l’enfant est tra­di­tion­nel­le­ment assu­ré par sa famille. Dans cer­tains cas, ce n’est pas pos­sible. Alors, l’examen de la situa­tion de l’enfant et de ses parents est juri­di­que­ment requis. Qu’est-ce que la psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne peut appor­ter dans ces situa­tions ? Pour y répondre, les entre­tiens cli­niques de Jacques Lacan avec deux patientes de l’hôpital Sainte Anne, lors de ses célèbres pré­sen­ta­tions de malades, sont riches d’enseignement.

Mademoiselle B.[1] consulte en psy­chia­trie car elle se sent éner­vée avec son fils, mais sur­tout parce qu’elle « est tom­bée amou­reuse de la sage-femme lors de son accou­che­ment », aimant moins son enfant que la sage-femme. Son fils est né d’une liai­son avec un homme qui a ensuite été incar­cé­ré. Elle ne l’a pas vrai­ment aimé. Mademoiselle B. a fait des études de sté­no­dac­ty­lo, elle s’est occu­pée d’enfants inadap­tés dans les hôpi­taux psy­chia­triques. Elle se sent mal­me­née dans son tra­vail et per­sé­cu­tée. Elle s’est occu­pée de son fils pen­dant les deux pre­mières années de sa vie, et se sen­tait tou­jours éner­vée avec lui. Elle a été sou­te­nue par sa sœur et son beau-frère. Puis son fils a été pla­cé chez une nour­rice. Cette der­nière lui a envoyé une pho­to de son enfant et pro­pose de lui télé­pho­ner. « Il lui manque peut-être quelque chose ». « Peut-être vous ? », sou­ligne Lacan. « Peut-être », répond-elle. « Maintenant, on s’amuse à lui faire confiance ; je pense que je pour­rai le reprendre quand j’aurai une meilleure san­té et que je pour­rai tra­vailler[2]». Lacan tente de faire un évè­ne­ment de cette pho­to de son enfant, dont elle est éloi­gnée, « pour lais­ser une chance[3]» d’en dire quelque chose. Il « n’en a eu aucun témoi­gnage, aucune réponse qui paraisse l’y rat­ta­cher. Ça a été ano­din[4]». Au fil de la longue conver­sa­tion cli­nique menée avec Mademoiselle B., elle énonce qu’elle se sent « hyp­no­ti­sée par les mots » ou encore qu’elle « aime­rait vivre comme un habit ». Les méde­cins remarquent qu’elle « met l’accent sur ses pos­si­bi­li­tés d’identifications variables, aux per­son­nages pas­sant à sa porte[5]». Mademoiselle B. est dans un flot­te­ment per­pé­tuel, comme elle l’énonce dans une for­mule remar­quable : « je suis inté­ri­maire de moi-même », un miroir cap­té par tout et accro­ché par rien. Lacan pré­cise : Mademoiselle B. « n’a pas la moindre idée du corps qu’elle a à mettre sous cette robe, il n’y a per­sonne pour habi­ter le vête­ment. Il y a un véte­ment et per­sonne pour s’y glis­ser. Elle n’a de rap­ports exis­tants qu’avec des vête­ments[6]». « Tout ce qu’elle dit est sans poids. Il n’y a aucune arti­cu­la­tion dans ce qu’elle dit[7]». Un méde­cin de l’auditoire sug­gère que « son fils pour­ra la rac­cro­cher ». Lacan n’en est « abso­lu­ment pas sûr », pré­ci­sant qu’il pré­fè­re­rait « même qu’on ne lui confie pas. Il ne paraît pas que ce soit la chose à recom­man­der[8]». Il s’agirait plu­tôt de l’accueillir à l’hopital où elle sou­haite être « valorisée ».

Madame S. est kiné­si­the­ra­peute en exer­cice depuis presque quinze ans. Elle a une fille. Elle a le sen­ti­ment de tout avoir échoué, sauf avec son enfant. Elle en a le sou­ci, parle de la manière dont elle s’en occupe, ain­si que de sa garde pen­dant qu’elle tra­vaille. Elle est hos­pi­ta­li­sée car elle a fait deux ten­ta­tives de sui­cide suite au départ de son mari qui la trom­pait. Elle avait alors le sen­ti­ment d’une pré­sence inté­rieure et de voix. Lacan lui demande si elle s’est sen­tie à ce moment-là « habi­tée[9]» ; elle y consent. Elle sou­haite se réta­blir pour sa fille. Lacan sou­ligne d’abord que « la psy­chose est plus com­mune qu’on ne croit[10]», mais estime après s’être lon­gue­ment entre­te­nu avec Madame S., que la psy­chose n’a « pas gagné, n’est plus omni­pré­sente[11] » chez la patiente. Elle est sta­bi­li­sée. La réac­tion sub­jec­tive de Madame S. concer­nant sa fille est encou­ra­geante. « C’est quand même des cas où il faut parier[12]», lance Lacan, mais pas sans condi­tion : à condi­tion de conti­nuer à suivre sérieu­se­ment cette dame en psy­chia­trie. Alors, « je fais le pari qu’elle va reprendre ce que j’ai appe­lé sa rou­tine[13]» c’est-à-dire tra­vailler, s’occuper de sa fille, voir ses amis. Cette rou­tine sou­tient l’existence de cette femme.

Lors de chaque pré­sen­ta­tion de malade, Lacan fait res­sor­tir ce qu’elle a d’inclassable, d’unique, sans pour autant mécon­naître la répar­ti­tion et les dis­tinc­tions de la noso­gra­phie psy­chia­trique dont elle s’approche. Lacan « fait émer­ger une pra­tique qui prend en compte […] le par­lêtre[14]». Autrement dit, la pré­sen­ta­tion de malade est la mise en acte de la manière dont la psy­cha­na­lyse opère. L’entretien cli­nique vise à inter­ro­ger et repé­rer le rap­port du sujet au sym­bo­lique, à l’imaginaire et au réel, son rap­port à la jouis­sance et à la vie, dans ce qu’il y a de plus intime. Ces dif­fé­rents points donnent des indi­ca­tions aux pro­fes­sion­nels sur la manière d’orienter et pour­suivre le tra­vail d’accompagnement.

Lacan s’intéresse à des petits détails dans l’échange avec Mademoiselle B., les­quels mettent en lumière son rap­port à son fils en par­ti­cu­lier, aux autres en géné­ral. Il recueille un dire d’importance : celui d’une femme qui dit son empê­che­ment à être mère. Sa parole ne marque pas, son corps ne prend pas consis­tance, n’est pas habi­té, elle est « inté­ri­maire d’elle-même ». Dans ce cas, Lacan com­plexi­fie la ques­tion pour qui vou­drait s’empresser de réta­blir Mademoiselle B. dans son rôle de mère. En effet, il met en valeur la manière dont ses paroles et ses actes sont aus­si impré­vi­sibles qu’instables du fait de son hyp­no­tisme – l’effet de sug­ges­tion inhé­rent à la parole – sin­gu­liè­re­ment pré­gnant pour elle.

Avec Madame S., Lacan démontre com­ment l’acte ana­ly­tique implique la dimen­sion de la mise et du pari, sans mécon­naître les points d’appui et de sta­bi­li­sa­tion du sujet – ici la rou­tine incluant celle des rendez-vous en psychiatrie.

Pour conclure, la méthode ana­ly­tique s’appuie sur la construc­tion du cas orien­té par le réel et la logique. Elle pro­pose non pas d’évaluer les risques, mais aux pro­fes­sion­nels de faire preuve de dis­cer­ne­ment éclai­ré dans l’examen de la pos­si­bi­li­té de liens entre un enfant et sa mère, dès lors que, comme il le sou­ligne en 1969, « ses soins portent la marque d’un inté­rêt par­ti­cu­la­ri­sé, le fût-il par la voie de ses propres manques[15]». Deux pré­sen­ta­tions de malades, deux femmes psy­cho­tiques, et l’analyse qui nous per­met de situer com­ment cha­cune peut, sur fond de non-rapport, com­po­ser avec le signi­fiant mère.

[1] Ornicar ? Revividus, Présentation de malades, 2021, p. 109–125.

[2] Ibid., p. 112.

[3] Ibid., p. 125.

[4] Ibid., p. 125.

[5] Ibid., p. 124.

[6] Ibid., p. 124.

[7] Ibid., p. 125.

[8] Ibid., p. 125.

[9] Ibid., p. 138.

[10] Ibid., p. 139.

[11] Ibid., p. 141.

[12] Ibid., p. 140.

[13] Ibid., p. 140.

[14] Miller J.-A., « Enseignement de la pré­sen­ta­tion de malade », Ornicar ?, N° 10, 1977, p. 13 à 24.

[15] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.