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Zappeur JIE7

Dormira…dormira pas…?

Zappeur n° 33
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Les pro­blèmes de som­meil sont un symp­tôme contem­po­rain de la petite enfance. Dans l’expérience cli­nique du CLAP, nous en pre­nons la mesure quand des familles poussent notre porte ou lors des conver­sa­tions avec des parents que nous orga­ni­sons chaque année en par­te­na­riat avec une biblio­thèque muni­ci­pale et une autre asso­cia­tion. Quand le CLAP a ouvert il y a dix ans, la maire nous a immé­dia­te­ment sol­li­ci­tés pour ani­mer une dis­cus­sion sur le thème du som­meil avec des parents d’enfants accueillis en crèche. Quelle lec­ture pouvons-nous faire de ce malaise contem­po­rain qui touche les familles ?

 

Krisis, par Sylvia Fiori

Ce que les familles nous enseignent lors de ces ren­contres s’éclaire avec les pro­pos de Daniel Roy dans son texte d’orientation. Un enfant qui ne dort pas peut deve­nir ter­rible pour ses parents, allant jusqu’à engen­drer une crise. Un enjeu s’installe qui « fonde un rap­port direct et sans média­tion de l’enfant aux parents » et pro­voque « une prise en masse des corps en pré­sence [qui concentre] l’attention et la libi­do de tous»1.

Crise vient du grec kri­sis, qui veut dire « sépa­rer », mais aus­si « choi­sir, juger » ou encore « déci­der ». Ce symp­tôme de la petite enfance agite la famille par le mal­en­ten­du qu’il engendre : lorsque l’enfant est accueilli dans le lit paren­tal ou que l’un des deux parents laisse sa place pour aller dor­mir ailleurs, un col­lage des corps se pro­duit. Ce désordre déchire par­fois les couples, intro­duit une riva­li­té entre les parents et condense les liens symp­to­ma­tiques qui tissent la famille.

Mais la crise amène aus­si ce moment déci­sif où les familles à bout, désem­pa­rées, décident de pous­ser notre porte en quête de solu­tions. L’offre de notre lieu d’accueil enfant-parents2 est celle d’un échange avec un père, une mère, un enfant, au plus près de ce qui se dit, un par un. Attraper, dans une contin­gence, ce que le tout-petit ne peut pas dire, ni aux parents, ni à lui-même, est fon­da­men­tal. Cela per­met d’accueillir le réel de la jouis­sance en jeu pour cha­cun et offre la pos­si­bi­li­té à l’enfant « de déchif­frer les coor­don­nées de la place qu’il occupe pour ses parents comme “cause du désir” et comme “déchet de leur jouis­sance”»3. Chacun peut ain­si accé­der à ses propres trou­vailles sub­jec­tives qui redis­tri­buent les places dans la famille.

Une mère, épui­sée et dépri­mée, à la recherche de spé­cia­listes, pense que son bébé a besoin qu’elle reste tout le temps près de lui pour s’endormir. Un jour, elle le laisse quelques ins­tants et s’aperçoit à son retour que son bébé s’était endor­mi. Elle réa­lise alors cette trop grande proxi­mi­té pou­vait exci­ter son petit. La conver­sa­tion avec un inter­ve­nant du CLAP a fait émer­ger un savoir de son côté.

Et ce père déso­rien­té qui ne com­prend pas pour­quoi sa fille de 3 ans se réveille chaque nuit pour le rejoindre. Il remarque qu’elle veut tout le temps jouer à cache-cache, au CLAP comme chez lui. Il nous apprend alors qu’il a enle­vé toutes les portes des pièces de son appar­te­ment, la chambre de sa fille res­tant ain­si ouverte. Dans l’échange avec une col­lègue, il réa­lise alors que cette absence de déli­mi­ta­tion de l’espace empêche son enfant d’établir une fron­tière entre le dedans et le dehors.

Fort-Da, par Adela Alcantud

Déchiffrer la place qu’il occupe pour sa mère est ce qu’un gar­çon de 2 ans vient mettre au tra­vail ce jour-là. Il se réveille plu­sieurs fois par nuit en pleu­rant. Sa mère est exas­pé­rée : « Pourquoi je n’arrive pas à faire dor­mir mon enfant ? J’ai sûre­ment lou­pé quelque chose ! », dit-elle accablée.

Je lui ren­voie : « lou­pé ? De toutes manières, dès le départ, c’est lou­pé, car vous êtes tous deux dif­fé­rents ». La mère s’apaise un peu. Mais sans rai­son appa­rente, l’enfant se met à pleu­rer en se blot­tis­sant contre le corps de sa mère. Je lui pro­pose alors un jeu avec deux cylindres emboî­tables. Je cache le petit jaune dans le grand bleu. Il regarde, inté­res­sé, et dit très clai­re­ment : « Pas là ». Il sou­lève le grand cylindre, attrape le petit et, d’un geste déci­dé, le jette au loin, hors de sa vue. Je l’interpelle : « il n’est plus là ! Où est-il ? » Cette fois-ci, il ne le cherche pas, mais, il se retourne contre sa mère et pleure à nou­veau. Je m’adresse à lui : « Tu as l’air d’être fati­gué », et je lui pro­pose de se repo­ser sur un tapis en lui offrant un plaid de bébé avec un nou­nours bro­dé qu’il regarde, content, évo­quant cet objet qu’il est pour l’Autre. Je quitte la pièce, le lais­sant avec sa mère. Quelle n’est pas ma sur­prise de me rendre compte qu’il arrête de pleu­rer ! Je reviens sur mes pas. Il essaie de mon­ter sur le tabou­ret où je m’étais assise. Je l’encourage et l’aide. Le voi­là debout sur le tabou­ret, les bras levés. Il est très fier. Il montre qu’il est un grand sous le regard admi­ra­tif de sa mère.

Le mou­ve­ment de Fort-Da du gar­çon, fai­sant dis­pa­raître le petit cylindre le repré­sen­tant comme objet, est une ten­ta­tive de s’en sépa­rer. Au moment de par­tir, il retrouve le petit cylindre jaune lan­cé au loin et me le rend avec un grand sou­rire. Par l’écoute atten­tive et la réponse qu’elle a ren­con­trée au CLAP, sa mère a pu faire un pas de côté pour se sépa­rer d’un idéal de mère par­faite qui com­prend, non sans angoisse, tout de son enfant. Dans son texte d’orientation, D. Roy fait valoir « une fonc­tion de l’objet que l’on peut aus­si bien abor­der sous l’angle du Fort-Da que sous celui de l’angoisse»4. Cette vignette cli­nique en témoigne et illustre que la sépa­ra­tion n’a donc pas lieu entre la mère et l’enfant, mais dans l’intersection entre « ce qui cir­cule comme désir et ce qui se dépose de jouis­sance en jeu, pour cha­cun des par­te­naires »5.

 

1 Roy D., Texte d’orientation vers la 7ème jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, Parents exaspérés-Enfants ter­ribles, dis­po­nible sur inter­net.

2 Le CLAP est une ins­ti­tu­tion d’orientation laca­nienne membre de la Fédération des ins­ti­tu­tions de psy­cha­na­lyse appliquée.

3 Dans cet extrait, Daniel Roy se réfère à : Miller J.-A., « Préface », in Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant. Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin / Le Champ freu­dien, 2013, p. 11.

4  Roy D., Texte d’orientation vers la 7ème jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, op. cit.

5 Roy D., op. cit.

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