Face au symptôme de leur enfant, qui se manifeste parfois avec force et fracas, des parents, exaspérés, épuisés, se tournent vers la pédopsychiatrie. Celle-ci est elle-même dans une « situation alarmante[1]», comme le titrait un article récent dans Le Monde. En effet, les passages à l’acte suicidaires surviennent de plus en plus jeune, sans que les services d’urgence, débordés, ne puissent y répondre. Si la Covid-19 y a sa part, un changement plus profond est à l’œuvre.
La reconfiguration de la pédopsychiatrie a mis de côté l’ancrage subjectif des symptômes et, sous l’incidence du paradigme neuroscientifique, ce qui agite l’enfant devient neuro. Le diagnostic devenu une fin en soi, prend le pas sur le traitement de la souffrance psychique, et transforme les services traditionnels en plateformes d’experts en tout genre. Cette mutation va de pair avec des traitements réduits au binaire chimiothérapie–rééducation associés à la promotion de l’inclusion, ainsi qu’à celle du sujet de droit, suite logique de l’essor du signifiant handicap[2] en 2005.
Dans le même temps, l’école, grande pourvoyeuse de demandes de diagnostic se trouve transformée, projets d’accueil individualisés (PAI) et aménagements à la carte décomplètent son ordonnancement. Dans les « Les non-dupes errent », Lacan nous permet une lecture précise de ce qui est en jeu : le social prend « une prévalence de nœud », dans la mesure où « il détient ce pouvoir du nommer à au point [que] s’en restitue un ordre […] qui est de fer[3]». La norme sociale occupe alors le devant de la scène. Si l’école semble accepter de se laisser trouer, au sens propre, par des autorisations d’absence de plus en plus nombreuses, les aménagements se font au nom de ces nouvelles nominations que sont le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), haut potentiel (HPI), dys… Ces noms, même si les sujets trouvent à s’en servir, extraient les désirs du lien particulier qui les articule au corps et laissent place à un surmoi incarné dans le langage même[4]. Le surdiagnostic et son corollaire, le surtraitement, du TDAH sont d’ailleurs bien identifiés, et une enquête parue dans The Conversation[5] du 7 juillet 2022 mentionne les parents désireux d’obtenir ce diagnostic et son traitement pour leur enfant afin d’améliorer sa réussite scolaire. Obéissant à l’impératif de l’inclusion, l’école devient paradoxalement le lieu de la ségrégation. Et si l’enseignement à la carte en allège certains, pour autant, la vague d’enfants en rupture scolaire ou présentant des gestes suicidaires ne cesse d’enfler laissant les enseignants et les parents démunis et à bout de souffle.
Il y a crise, nous dit Jacques-Alain Miller, quand la tradition qui cadrait le réel s’évanouit et que l’appareil symbolique est rattrapé par un réel qu’il ne peut ni traiter ni maîtriser. Ces nouveaux signifiants du DSM sont certes, en tant que tels, une façon de nommer un réel, mais de le forclore aussi bien en réduisant les enfants à leur organisme.
À l’annulation de cette place répond la pente des sujets à s’exclure de l’Autre et à se faire l’objet déchet de ce discours, objet qui sème alors le trouble à l’école et/ou dans la famille et va jusqu’à mettre en crise les structures de soins.
Lors de sa première séance, Clara, dix-huit ans, liste tout ce qu’elle trouve hors norme chez elle. Étiquetée HPI dans l’enfance, ses parents rapportent tout à ce diagnostic et n’entendent pas ce qui ne va pas. Elle-même se reconnaît plutôt dans la catégorie TDAH, façon précaire de mettre une distance avec cette première nomination et de dire ce qui la particularise. En effet, selon Clara, « mon cerveau bloque, ne pense pas à manger, n’arrive pas à se mettre au travail ». Déplier en séance les injonctions paternelles tant sur la nourriture que les études donne une couleur nouvelle à ces « blocages ».
J.-A. Miller, en situant, à la suite de Lacan, le symptôme comme « défense contre le réel[6]», nous donne un autre cap, et nous permet d’accueillir les manifestations bruyantes de l’enfant comme une première opération du sujet.
[1] Cf. Gauchard Y., « Situation alarmante de la pédopsychiatrie dans l’ouest de la France », Le Monde, 18 août 2022, disponible sur internet.
[2] Création des maisons du handicap, MDPH en 2005.
[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 mars 1974, inédit.
[4] Cf. Delarue A., « Les traces du Père », L’Hebdo-Blog. Nouvelle série, n°253, 7 novembre 2021, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[5] Morgan P. L., « White Children Are Especially Likely to Be Overdiagnosed and Overtreated for ADHD, According to a New Study », The Conversation, 6 juillet 2022, disponible sur internet.
[6] Miller J.-A., « Le réel au XXIe siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », La Cause du désir, n°82, octobre 2012, p. 94, disponible sur Cairn.