L’exaspération manifeste, certes, un débordement, mais il arrive souvent que nous puissions accorder à cette manifestation une valeur d’appel. Dans les premiers entretiens avec les parents et l’enfant, nous entendons l’impasse, le sans solution. En écoutant cette exaspération, il arrive qu’un espace s’ouvre. L’enfant n’est pas seulement insupportable. Nous cherchons avec les parents une autre façon de le présenter, et donc de le parler. Souvent cela se passe devant l’enfant. Nous tentons d’autres abords que ceux qui se présentent sous la forme de l’accablement qui contamine parents et interlocuteurs.
Bien sûr, les moments d’insupportable reviennent où mère ou père se confrontent dans une certaine immédiateté à un impossible à supporter. Si nous ne rejetons pas trop vite l’exaspération du côté de la plainte impuissante, nous pouvons entendre la rencontre avec ce que l’adulte ne sait pas accueillir. Face à l’enfant, se déchaîne alors un refus violent, parfois appréhendé, de la posture de l’enfant prise comme un rejet de l’adulte, une provocation, un défi et pousse à la surenchère. Souvent, une mère ou un père peut décrire ce moment où elle ou il se découvre, retranché dans des états de colère, d’impuissance, de chagrin qu’il ou elle ne pouvait pas imaginer l’instant d’avant.
L’exaspération brouille-t-elle les places ? Qui est terrible ? Quelle part mauvaise surgit ? Qui attend trop, l’enfant ou le parent ? Supporter la déception, entamer les attentes, percevoir la pointe de haine du côté de l’amour, voilà qui n’est pas chose facile.
Remarquons que dans certains cas, en particulier lorsque les parents sont encouragés par l’école à consulter en raison des comportements de leur enfant, nous pouvons rencontrer des parents qui ne sont pas inquiets et qui viennent parce que l’école le leur a indiqué ou préconisé. Un parent peut présenter son enfant comme ayant des difficultés ou des inadéquations avec les exigences scolaires (par exemple ne pas tenir en place) que l’adulte perçoit comme un point de familiarité avec lui, enfant. L’adulte se reconnaît dans les comportements de l’enfant. Eux aussi étaient énurétiques, dyslexiques, coléreux… Là, pas d’exaspération, mais une reconnaissance de l’enfant qui colle à des projections parentales.
Dans les deux cas, nulle place pour l’énigme du symptôme de l’enfant. Alors, le praticien qui reçoit les protagonistes prend le temps d’énigmatiser et donc de séparer chacun de la manifestation de l’autre et d’écarter chacun de son comportement personnel. C’est a minima se faire partenaire. Alors, un peu de jeu dans les places peut se produire.
L’exaspération a un avantage clinique sur la complaisance. Quand elle est accueillie, elle pousse à des interrogations, à la condition de ne pas la faire simplement taire – côté parent comme côté enfant. Alors le parent peut consentir à un au-delà du lien gordien inscrit dans la réaction et les reproches. Il peut retrouver un lien plus séparé.
Si le praticien prend au sérieux ce qui ne peut plus se dire, alors une réponse peut se faire jour. Une autre réponse que la réponse éducative promettant de gérer les comportements et les exaspérations.
N’allégeons pas trop vite ce qu’il y a de terrible entre enfant et parents. Essayons d’ajouter quelques signifiants pour décompacter les évidences aveugles. Essayons de « chiffonner les mots », de mesurer ce qui se disloque et se dénoue entre corps et parlant, pour ouvrir l’espace de la bévue[1]. Se faire partenaire des enfants terribles et des parents exaspérés remet au goût du jour les choses de finesse, les petits reliefs du symptôme indomptable qui veut dire.
[1]Éric Zuliani, « En famille du bruit et des éclats », conférence du 18 octobre 2021 à Nantes, disponible sur internet.