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Zappeur JIE7

Ivan le Terrible, enfant du réel

Zappeur n° 24
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Le ter­rible de l’enfant 

Que sait-on d’Ivan enfant ? Selon Troyat, un de ses bio­graphes, le jeune Ivan « se com­plaît à des jeux san­gui­naires […] il arrache les plumes des oiseaux, leur crève les yeux, les éventre avec un cou­teau, se délecte à suivre les phases d’agonie »1. Selon Hélène Bonnaud, « l’enfant ter­rible effraie son entou­rage […] et sur­tout il n’a peur de per­sonne. Il est sans loi. C’est un enfant hors sens »2. Si Ivan est un enfant ter­rible, à quel Autre a‑t-il eu affaire ? L’enfance d’Ivan ne rime pas avec féli­ci­té mais avec atro­ci­té. Dès son plus jeune âge, cet enfant est confron­té à l’horreur de la mort. Il a trois ans quand son père, Vassili III, meurt d’infection ; huit ans, en 1538, quand sa mère meurt d’empoisonnement, dans une ambiance de sus­pi­cions, d’intrigues et de meurtres. Aussi, « L’enfant vit dans la crainte d’être assas­si­né »3Ces années sont mar­quées par la ter­reur, « ces souf­frances indi­cibles, vrai­ment indi­cibles, que j’ai endu­rées dans ma jeu­nesse »4, écrit Ivan qui pré­cise : « j’avais huit ans à cette époque, d’un trouble à l’autre, je flot­tais, j’ai tout obser­vé, tout, de mon coin j’ai tout vu ! »5 et ajoute : « on était éle­vés dans la honte et la misère […] j’ai vu la haine, je connais la faim ! »6. Ivan raconte com­ment : « les esclaves qui devaient me ser­vir, moi, encore petit, moi, leur tsar béni par le Dieu […], s’enragent contre leur maître, ne le recon­naissent plus, se jettent sur lui »7 et résume : « quel moment déses­pé­ré on a vécu, Russie et moi-même ! nous, les enfants per­dus dans toutes ces guerres, les com­plots de par­tout […] quelle époque hor­rible et pour nous et pour les terres russes… »8. Ainsi, « L’enfant ter­rible épou­vante, mais il est lui aus­si bien sou­vent épou­van­té par l’Autre auquel il a affaire »9.

Le réel de la terreur

Face à cet Autre ter­rible, l’enfant « n’a d’autre recours que de mani­fes­ter sa pré­sence par une décharge de vio­lence qui le sub­merge. N’ayant pas sym­bo­li­sé le manque, il est alors agi par la pul­sion »10. Premier Tsar de Russie, Ivan IV Vassiliévitch, sur­nom­mé au XVIII° siècle Ivan le Terrible, a lais­sé dans l’histoire la trace de la ter­reur. Ce des­pote tyran­nique et cruel a ins­tau­ré un régime de troubles entre exé­cu­tions et déca­pi­ta­tions, mas­sacres et sup­plices. Pourrait-on lire cette irrup­tion du réel dans ce dire d’Ivan : « je suis en guerre […] et la guerre est en moi. Oui, moi qui vou­lais tou­jours la paix – je suis la paix en guerre ! »11 ? Il se nomme ain­si au Prince Kourbski, son ami deve­nu enne­mi « le traitre aux mains sales »12 . Après la mort de son père : « les guerres sont venues, de tous côtés, les nations qui nous haïs­saient peu­reu­se­ment, tel coq hait le renard – là, elles se sont déchai­nées, crêtes rabat­tues, becs ouverts ! elles sto­ckaient leur haine des siècles et là – tout est deve­nu per­mis, tout ! »13. Dans cet épître, il confie « la mélan­co­lie vient, ami …de loin […], elle me tor­ture cette tris­tesse et je me sens près d’une fosse, elle est pleine de ténèbres »14.

Cet épître est publié en 1951 par l’Académie des sciences de Moscou et tra­duit en fran­çais par le roman­cier russe Dimitri Bortnikov. Au sujet de la nomi­na­tion « Ivan le Terrible », Bortnikov15 explique que « La tra­duc­tion n’est pas cor­recte […], il ne s’agira pas de réha­bi­li­ter Ivan, oh non, mais de le déter­ri­bi­li­ser. […] Ivan Grozny en russe ne don­ne­ra pas en fran­çais ”Ivan le Terrible” mais Ivan le Sévère »16.

Traiter la terreur

En 1547, avec le cou­ron­ne­ment impé­rial, Ivan est sacré pre­mier tsar russe, en assu­mant l’héritage de l’Église ortho­doxe, il est inves­ti d’une mis­sion divine. À trois ans, il avait assis­té à l’agonie de son père qui dans un der­nier souffle demande à être consa­cré moine17. Il raconte com­ment, au moment de la mort de sa mère, il ins­taure un rap­port à Dieu : « notre seul refuge était la misé­ri­corde de Dieu, oui, on était à lui, on s’est blot­tis contre lui, mon frère George et moi, deux orphe­lins »18

Ayant appris à lire et écrire le sla­von russe, langue litur­gique, Ivan adresse des épîtres aus­si bien à la reine d’Angleterre, Elisabeth I, à qui il demande sa main, qu’au Prince André Kourbski ou à l’abbé Cosima. Il déve­loppe une foi ardente : « J’ai appris de l’Écriture divine qu’il faut obéir »19, élu de Dieu, il dia­logue avec le légal pon­ti­fi­cal et confie : « mais qui je suis, frères, pour fou­ler ces terres de la grâce ? Mes traces seront rouge et ver­meil. Sang, je suis. Sanguinaire, je salis tout ce que je touche ! »20 et il ajoute « mon âme est tor­due »21. Il adresse alors une demande : « pas digne je suis d’être appe­lé, mais je sou­haite m’inscrire, à l’alliance de l’Évangile, oui, considérez-moi comme l’un de vos auxi­liaires »22

Comme le for­mule Daniel Roy : « Au cœur […] de la ter­reur des enfants ter­ribles se loge une « jouis­sance illi­sible » qui ne peut que res­ter « lettre voi­lée »23. Est-ce avec la voie mys­tique qu’Ivan le Terrible tente de voi­ler le déchaî­ne­ment de la pul­sion de mort ?

 

1Troyat H., Ivan le Terrible, bio­gra­phie, Paris, Flammarion, 2007, p. 20.

2Bonnaud H., « L’enfant ter­rible est sans loi », Zappeur, n°, 5 octobre 2022, dis­po­nible en ligne. 

3Troyat H., Ivan le Terrible, op.cit. p. 22.

4 Ivan le Sévère, dit Ivan le Terrible, Je suis la guerre en paix, Paris, Allia, 2012, p. 

Ibid., p. 36. 

Ibid., p. 38.

7 Ibid., p. 36. 

8Ibid., p. 35. 

9 Bonnaud H., « L’enfant ter­rible est sans loi », op. cit. 

10 Ibidem. 

11 Bonnaud H., « L’enfant ter­rible est sans loi », op. cit. 

12 Ibid. p 15. 

13 Ibid. p.34.

14 Ibidem. 

15 Dimitri Bortnikov reçoit le Booker Prize russe et le prix du Best-seller natio­nal en 2002 pour son pre­mier roman. 

16  Bortnikov D., « Les tom­beaux ouverts », Ivan le Sévère, dit Ivan le Terrible, Je suis la guerre en paix, trad. Paris, Allia, 2012, p. 119. 

17  Troyat H., Ivan le Terrible, bio­gra­phie, op. cit., p. 16. 

18 Ivan dit le Sévère, op.cit. p. 36. 

19  Ibid.,  p. 46. 

20  Ibid.,  p. 71. 

21 Ibidem. 

22 Ibidem. 

23  Roy D., texte d’orientation « Parents exaspérés-enfants ter­ribles » , dis­po­nibles sur le net.

 

 

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