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Le parent traumatique, la date du trauma et l’enfant troumatisé

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Partons d’une obser­va­tion de Jacques Lacan. Il s’agit d’un échange qu’il eut avec un petit enfant, sûre­ment de sa famille, et qu’il rap­porte dans Les quatre concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, juste après avoir évo­qué le petit-neveu de Freud. Lacan nous dit : « J’ai vu moi aus­si, vu de mes yeux, des­sillés par la divi­na­tion mater­nelle, l’enfant, trau­ma­ti­sé de ce que je parte en dépit de son appel pré­co­ce­ment ébau­ché de la voix, et désor­mais plus renou­ve­lé pour des mois entiers – je l’ai vu, bien long­temps après encore, quand je le pre­nais, cet enfant, dans les bras – je l’ai vu lais­ser aller sa tête sur mon épaule pour tom­ber dans le som­meil, le som­meil seul capable de lui rendre l’accès au signi­fiant vivant que j’étais depuis la date du trau­ma[1]».

 

La ren­contre trau­ma­tique du signi­fiant vivant

L’enfant, dont nous parle ici Lacan, est un enfant trau­ma­ti­sé qui trouve auprès de l’Autre la paix du sym­bo­lique et qui s’y endort. Remarquons d’abord com­ment Lacan nous a par­lé de cet enfant trau­ma­ti­sé de ce que l’Autre, c’est-à-dire lui-même, l’ait quit­té mal­gré son appel ; cet enfant qui, dès lors, devant l’absence de réponse de l’Autre, n’adresse plus jamais d’appel, ren­trant dans une sorte de mutisme, voire d’autisme, et qui retrouve par le biais du som­meil dans les bras de Lacan : « l’accès au signi­fiant vivant que j’étais depuis la date du trau­ma­tisme ». L’Autre, pour l’enfant, est avant tout un signi­fiant vivant qui illustre ici com­ment la ren­contre avec l’Autre est trau­ma­tique, et com­ment elle peut aus­si être paci­fiante. Lacan nous a indi­qué que le signi­fiant n’est pas seule­ment sym­bo­lique ou paci­fi­ca­teur, mais qu’il est vivant, c’est-à-dire qu’il peut jouir de sa vie de signi­fiant tout seul et comme tel por­ter une jouis­sance hors-sens ; cette jouis­sance est trau­ma­ti­sante pour l’enfant car elle lui échappe tant qu’un autre signi­fiant ne vient pas lui don­ner signi­fi­ca­tion. L’enfant n’y com­prend rien, cela le trau­ma­tise, ici, cela le laisse en plan – l’Autre en par­tant le laisse tom­ber, ne répond pas à son appel, l’Autre, por­teur du signi­fiant, vit et jouit ailleurs, en dehors de lui.

 

L’appel à l’Autre et la ren­contre des objets 

Remarquons que Lacan sou­ligne les ravages de la parole pour un enfant lorsqu’on ne répond pas à son appel. Il dit qu’entre l’Autre et l’enfant, il y a « l’appel pré­co­ce­ment ébau­ché de la voix ». Notons enfin com­ment il intro­duit l’importance pour l’enfant, dans l’appel à l’Autre, d’un objet qui lui vient du désir à l’Autre : la voix, cet objet voix est pris pour tout sujet dans sa rela­tion à l’Autre. Cet objet voix et la pul­sion invo­cante qui lui est atta­chée, comme l’objet regard et la pul­sion sco­pique, sont deux objets fon­da­men­taux dans la cli­nique que Lacan a mis en évi­dence pour l’enfant. Ainsi l’objet regard et la pul­sion sco­pique sont essen­tiels dans cette scène : « J’ai vu de mes yeux » et le « regard de la mère ». En éla­bo­rant le « stade du miroir », Lacan a d’abord poin­té ce moment où l’enfant, face au chaos et au mor­cel­le­ment de son être, tente de récu­pé­rer une uni­té dans l’image spé­cu­laire qu’il inves­tit libi­di­na­le­ment et ima­gi­nai­re­ment pour s’en faire un moi. Plus tard, il sou­li­gne­ra l’importance du regard de l’Autre et de la pul­sion sco­pique. De même, au cours de cette scène de l’enfant qu’il prend dans ses bras, l’Autre, Lacan, est témoin de la déchi­rure de l’être qui secoue cet enfant, mais le regard qu’il porte lui fait prendre part à l’événement jusqu’à y occu­per la posi­tion cau­sale qui fait que cette scène existe parce qu’elle est vue. L’Autre, par son regard, devient celui qui accom­pagne l’enfant au moment de son entrée dans le monde et il finit par être l’élément actif fon­da­men­tal qui tout en le créant, trans­forme ce monde hos­tile en un monde paci­fié. L’Autre encadre l’expérience de l’enfant par son regard.

 

Le parent trau­ma­tique et la marque d’un signi­fiant sur le corps 

La psy­cha­na­lyse, pré­cise Lacan, c’est « le repé­rage de ce qui se com­prend d’obscurci, de ce qui s’obscurcit en com­pré­hen­sion, du fait d’un signi­fiant qui a mar­qué un point du corps[2]». Un psy­cha­na­lyste repro­duit une pro­duc­tion de la névrose, pré­cise Lacan, et « là-dessus, tout le monde est d’accord[3]». Cette névrose, on l’attribue non sans rai­son à l’action des parents et ceci dans la mesure où « elle converge vers un signi­fiant qui en émerge que la névrose va s’ordonner selon le dis­cours dont les effets ont pro­duit le sujet[4]». Lacan va alors par­ler de parent trau­ma­tique : « Tout parent trau­ma­tique est en somme dans la même posi­tion que le psy­cha­na­lyste[5]». Lacan pré­cise que si le psy­cha­na­lyste, de sa posi­tion, repro­duit la névrose, « le parent trau­ma­tique, lui, la pro­duit inno­cem­ment[6]». C’est ce que nous démontre cet exemple de Lacan, psy­cha­na­lyste et aus­si parent trau­ma­tique mais innocent.

Remarquons encore com­ment Lacan, dans cette vignette cli­nique, illustre sa posi­tion par rap­port à la mère. Il pré­cise que ses yeux sont des­sillés par la divi­na­tion mater­nelle. C’est le regard que porte cette mère sur son enfant, sa divi­na­tion mater­nelle, qui lui fait devi­ner, à lui le trau­ma­tisme, qui le lui rend visible. Notons ici com­ment le signi­fiant divi­na­tion opère un glis­se­ment, éty­mo­lo­gi­que­ment fon­dé, entre devin et divin, lais­sant appa­raître ce divin qui s’attache à la figure de l’enfant – de l’enfant comme s’il était un Dieu, de l’enfant « inno­cent et joyeux » tel que Victor Hugo le dépeint dans son poème « Lorsque l’enfant paraît[7]», tel que Freud dans « Pour intro­duire le nar­cis­sisme » le désigne : His Majesty the baby.

 

L’enfant laca­nien n’est pas un innocent

Notons aus­si com­ment, pour Lacan, l’enfant freu­dien est cou­pable de se lais­ser aller à la jouis­sance maso­chiste qu’il a res­sen­tie ou subie, voire qu’il en retire. Il y a chez l’enfant une pente qui le pousse à se faire l’objet déchu de l’Autre. Être trai­té comme un objet, comme un chien[8]. Il y a chez lui une dis­po­si­tion pré­coce à la déchéance, un maso­chisme pri­mor­dial qui le pousse à souf­frir de sa propre déchéance et à en tirer une satis­fac­tion fon­cière, une jouis­sance. Quelque chose insiste au cœur de l’être, dont Lacan affir­ma l’existence comme néces­si­té pre­mière, ce quelque chose met chaque être à la mer­ci d’être lais­sé tom­ber par celui qui sym­bo­li­que­ment le sou­tient dans son expé­rience de nomination.

Pour Lacan, l’enfant n’est pas un inno­cent, il est cou­pable de la jouis­sance qu’il retire en usant du signi­fiant mais aus­si en se lais­sant aller à son maso­chisme pri­mor­dial. Pour Freud puis Lacan, la névrose infan­tile ne vient pas tant de la ren­contre trau­ma­tique avec l’Autre que du réel, de la jouis­sance en jeu dans cette ren­contre, jouis­sance sur laquelle l’enfant ne peut mettre aucun mot et dont il peut faire un cer­tain usage. L’enfant laca­nien ne connaît pas l’insouciance car, du fait du lan­gage, il n’y a pas pour lui de sym­biose pos­sible avec l’auteur de ses jours, mais il y a tou­jours la dis­cor­dance du malentendu.

 

La dis­corde de l’enfant né mal­en­ten­du : le trou­ma­tisme

L’enfant est sépa­ré de ce monde dans lequel la nais­sance l’a pro­je­té et qui était déjà là avant qu’il n’arrive. Il est un immi­gré au pays de la parole, au pays où l’appel peut ne pas trou­ver de réponse. Un enfant est né, un arra­che­ment s’est pro­duit, une faille s’est ouverte, une dis­tance demeure irré­duc­tible. Il y a eu cou­pure, sépa­ra­tion. L’enfant jamais ne dévoi­le­ra le mys­tère de son ori­gine et, face à la ques­tion Qui est-il, cet enfant là ?[9], il faut se gar­der de croire que cette pro­blé­ma­tique de l’origine devien­drait attei­gnable. L’amnésie infan­tile témoigne de l’impossibilité pour tout sujet de répondre à cette ques­tion – l’enfant ne ramène pas à l’origine, il intro­duit par la voie du mal­en­ten­du à la dimen­sion du réel. Quelque chose échappe au sujet, quelque chose dont il est tou­jours sépa­ré ; ce réel non sym­bo­li­sable peut faire retour, il peut sur­gir au détour de chaque his­toire. À la ques­tion Qui est-il, cet enfant-là ?, nous pour­rions donc pro­po­ser de répondre que l’enfant, d’être un enfant, est fon­da­men­ta­le­ment trau­ma­ti­sé. « De trau­ma­tisme, il n’y en a pas d’autre : L’homme naît mal­en­ten­du[10]». Pour redon­ner vigueur et rigueur au terme de trau­ma, Lacan a for­gé le néo­lo­gisme de trou­ma­tisme[11]. Comment mieux dire que ce qui fait trau­ma chez l’enfant, c’est la ren­contre d’un trou dans sa com­pré­hen­sion des choses ou des mots qu’il reçoit de l’Autre. Il y a pour l’enfant un trou dans le savoir, il ne peut mettre en mots ce qu’il vit, ce qu’il res­sent, ce qu’il ren­contre. Il en éprouve une expé­rience hors-sens, une expé­rience de jouis­sance dans le sens d’une ren­contre avec un réel qu’il ne peut assi­mi­ler. L’enfant laca­nien est donc un enfant trou­ma­ti­sé car expo­sé à des moments traumatiques.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, Paris, Seuil, 1973, p. 61.

[2] Lacan J., Le Séminaire, Livre XIX, … Ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 151.

[3]  Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Hugo V., « Lorsque l’enfant paraît », Les feuilles d’automne (1831), Paris, Hachette, 1958, p. 66 : « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille/ Applaudit à grands cris ; son doux regard qui brille/ Fait briller tous les yeux,/ Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,/ Se dérident sou­dain à voir l’enfant paraître,/ Innocent et joyeux ».

[8] Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son inter­pré­ta­tion, Paris, La Martinière et Le Champ Freudien, 2013, p. 153.

[9] Lacadée P., « Qui est-il, cet enfant-Là », Le mal­en­ten­du de l’enfant, Paris, Michèle, 2010.

[10] Lacan J., « Le mal­en­ten­du » (1980), Aux confins du Séminaire, coll. La Divina, Paris, Navarin, 2021, p. 74.

[11] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes-errent », leçon du 19 février 1974, inédit.

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