8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Zappeur JIE7

Cornebidouille ou la pulsion orale dans tous ses états

Zappeur n° 33
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Interpellée par un drôle de signi­fiant enten­du chez cer­tains petits enfants que je ren­contre, « Cornebidouille », je me suis inté­res­sée à cet album jeu­nesse[1] qui connaît un franc suc­cès depuis plu­sieurs années. Dès l’évocation du per­son­nage ou la récla­ma­tion de la lec­ture du livre, on entend le bidouillage qu’est lalangue et la jouis­sance à la pro­non­cer : « Cornebidouille ! Cornebidouille ! » Ça sonne, ça chante, et ça parle aux petits parlêtres.

L’histoire s’ouvre sur la phrase sui­vante « Quand il était petit, Pierre ne vou­lait pas man­ger sa soupe et ça fai­sait des tas d’histoires[2]». Pierre est à table avec sa grand-mère, son grand-père, sa mère et son père. Trois géné­ra­tions ins­tal­lées pour un dîner qui pour­rait bien faire consis­ter la fic­tion idéale d’une har­mo­nie fami­liale, toute bien ordon­née. Mais c’est sans comp­ter sur la jouis­sance qui vient autant lier les dif­fé­rents par­lêtres d’une même famille que les sépa­rer[3]. Derrière l’injonction édu­ca­tive bien connue, que cha­cun des membres de la famille s’évertue à lan­cer à l’enfant, « Pierre, mange ta soupe ! », s’entend une ten­ta­tive d’organiser la pul­sion orale. Mais, cha­cun leur tour, les ascen­dants se heurtent à la même réponse de Pierre : « Nan, j’veux pas ! ». Hiatus entre l’attente des parents et la réponse de l’enfant, « prin­cipe orga­ni­sa­teur de la famille[4]». Demande d’avaler d’un côté, refus de man­ger de l’autre.

« Mais avec son père, ça fai­sait des his­toires encore pires qu’avec le reste de la famille. » Un soir, son père, exas­pé­ré, le menace d’une ter­rible visite : si c’est comme ça, la sor­cière Cornebidouille vien­dra le voir dans sa chambre une nuit, comme elle le fait avec tous les enfants qui ne mangent pas leur soupe, à qui elle fait tel­le­ment peur que « non seule­ment ils mangent leur soupe, mais ils avalent la sou­pière avec[5]». On lit la part de jouis­sance dévo­rante tapie dans l’ombre de cette demande pater­nelle. C’est qu’il fau­drait que Pierre aille jusqu’à dévo­rer la vais­selle ! Pierre, qui n’est pas tous les enfants, répond : « M’en fiche, j’y crois pas aux sor­cières[6]».

En effet, Pierre n’a pas peur de cette sor­cière qui débarque la nuit sui­vante dans sa chambre, et insiste : il faut qu’il mange sa soupe. Il se moque ouver­te­ment d’elle, usant du lan­gage pour la piquer à vif (« vous sen­tez le gruyère ![7]»). Cornebidouille entre dans une colère folle et dévore tout sur son pas­sage : la couette, les tuiles du toit qu’elle a « cre­vé » à force de gros­sir, gros­sir, gros­sir. Rien ne l’arrête, elle va jusqu’à man­ger les nuages. C’est le déchaî­ne­ment pulsionnel.

C’est quand elle le menace de man­ger son dou­dou si lui ne mange pas sa soupe, que Pierre dit « stop » et ruse : il fait croire à Cornebidouille qu’il a caché sa cuiller dans sa chaus­sette, mais qu’il fau­drait quelqu’un de vrai­ment tout petit pour aller l’y cher­cher. Cornebidouille rétré­cit, rétré­cit, rétré­cit. Ainsi réduite, Pierre l’enferme dans la chaus­sette et la jette aux toi­lettes, retour­nant se cou­cher illi­co pres­to.

Dans la cli­nique avec les enfants, ce n’est pas une mise en ordre pul­sion­nelle, mais une petite réduc­tion de jouis­sance que l’on cherche à opé­rer. Quand une famille passe la porte du clap-Passage des tout-petits, elle se trouve dans l’impasse de la fixa­tion d’une jouis­sance deve­nue insup­por­table. Les parents se plaignent de l’enfant qui ne répond pas à leurs attentes, du débor­de­ment pul­sion­nel ingé­rable qu’ils logent chez l’enfant qui les pousse à bout. Parier sur la ren­contre par­lée de cha­cun des sujets com­po­sant cette « famille » vise à redis­tri­buer la part de jouis­sance qu’il y a en jeu pour cha­cun. Soutenir les trou­vailles de l’enfant, c’est pré­ser­ver « cet inter­stice, dans cette oppo­si­tion à[8]» dans laquelle « le sujet trou­ve­ra à se fau­fi­ler, à se consti­tuer[9]».

 

[1] Bertrand P. et Bonniol M., Cornebidouille, L’École des loi­sirs, 2013.

[2] Ibid.

[3] Roy D., texte d’orientation de la 7è Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net.

[4] Ibid.

[5] Bertrand P. et Bonniol M., Cornebidouille, op. cit.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Vanderveken Y., Argument de la 7è Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net.

[9] Ibid.