Menu
Zappeur JIE7

Cornebidouille ou la pulsion orale dans tous ses états

Zappeur n° 33
image_pdfimage_print

Interpellée par un drôle de signi­fiant enten­du chez cer­tains petits enfants que je ren­contre, « Cornebidouille », je me suis inté­res­sée à cet album jeu­nesse[1] qui connaît un franc suc­cès depuis plu­sieurs années. Dès l’évocation du per­son­nage ou la récla­ma­tion de la lec­ture du livre, on entend le bidouillage qu’est lalangue et la jouis­sance à la pro­non­cer : « Cornebidouille ! Cornebidouille ! » Ça sonne, ça chante, et ça parle aux petits parlêtres.

L’histoire s’ouvre sur la phrase sui­vante « Quand il était petit, Pierre ne vou­lait pas man­ger sa soupe et ça fai­sait des tas d’histoires[2]». Pierre est à table avec sa grand-mère, son grand-père, sa mère et son père. Trois géné­ra­tions ins­tal­lées pour un dîner qui pour­rait bien faire consis­ter la fic­tion idéale d’une har­mo­nie fami­liale, toute bien ordon­née. Mais c’est sans comp­ter sur la jouis­sance qui vient autant lier les dif­fé­rents par­lêtres d’une même famille que les sépa­rer[3]. Derrière l’injonction édu­ca­tive bien connue, que cha­cun des membres de la famille s’évertue à lan­cer à l’enfant, « Pierre, mange ta soupe ! », s’entend une ten­ta­tive d’organiser la pul­sion orale. Mais, cha­cun leur tour, les ascen­dants se heurtent à la même réponse de Pierre : « Nan, j’veux pas ! ». Hiatus entre l’attente des parents et la réponse de l’enfant, « prin­cipe orga­ni­sa­teur de la famille[4]». Demande d’avaler d’un côté, refus de man­ger de l’autre.

« Mais avec son père, ça fai­sait des his­toires encore pires qu’avec le reste de la famille. » Un soir, son père, exas­pé­ré, le menace d’une ter­rible visite : si c’est comme ça, la sor­cière Cornebidouille vien­dra le voir dans sa chambre une nuit, comme elle le fait avec tous les enfants qui ne mangent pas leur soupe, à qui elle fait tel­le­ment peur que « non seule­ment ils mangent leur soupe, mais ils avalent la sou­pière avec[5]». On lit la part de jouis­sance dévo­rante tapie dans l’ombre de cette demande pater­nelle. C’est qu’il fau­drait que Pierre aille jusqu’à dévo­rer la vais­selle ! Pierre, qui n’est pas tous les enfants, répond : « M’en fiche, j’y crois pas aux sor­cières[6]».

En effet, Pierre n’a pas peur de cette sor­cière qui débarque la nuit sui­vante dans sa chambre, et insiste : il faut qu’il mange sa soupe. Il se moque ouver­te­ment d’elle, usant du lan­gage pour la piquer à vif (« vous sen­tez le gruyère ![7]»). Cornebidouille entre dans une colère folle et dévore tout sur son pas­sage : la couette, les tuiles du toit qu’elle a « cre­vé » à force de gros­sir, gros­sir, gros­sir. Rien ne l’arrête, elle va jusqu’à man­ger les nuages. C’est le déchaî­ne­ment pulsionnel.

C’est quand elle le menace de man­ger son dou­dou si lui ne mange pas sa soupe, que Pierre dit « stop » et ruse : il fait croire à Cornebidouille qu’il a caché sa cuiller dans sa chaus­sette, mais qu’il fau­drait quelqu’un de vrai­ment tout petit pour aller l’y cher­cher. Cornebidouille rétré­cit, rétré­cit, rétré­cit. Ainsi réduite, Pierre l’enferme dans la chaus­sette et la jette aux toi­lettes, retour­nant se cou­cher illi­co pres­to.

Dans la cli­nique avec les enfants, ce n’est pas une mise en ordre pul­sion­nelle, mais une petite réduc­tion de jouis­sance que l’on cherche à opé­rer. Quand une famille passe la porte du clap-Passage des tout-petits, elle se trouve dans l’impasse de la fixa­tion d’une jouis­sance deve­nue insup­por­table. Les parents se plaignent de l’enfant qui ne répond pas à leurs attentes, du débor­de­ment pul­sion­nel ingé­rable qu’ils logent chez l’enfant qui les pousse à bout. Parier sur la ren­contre par­lée de cha­cun des sujets com­po­sant cette « famille » vise à redis­tri­buer la part de jouis­sance qu’il y a en jeu pour cha­cun. Soutenir les trou­vailles de l’enfant, c’est pré­ser­ver « cet inter­stice, dans cette oppo­si­tion à[8]» dans laquelle « le sujet trou­ve­ra à se fau­fi­ler, à se consti­tuer[9]».

 

[1] Bertrand P. et Bonniol M., Cornebidouille, L’École des loi­sirs, 2013.

[2] Ibid.

[3] Roy D., texte d’orientation de la 7è Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net.

[4] Ibid.

[5] Bertrand P. et Bonniol M., Cornebidouille, op. cit.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Vanderveken Y., Argument de la 7è Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant, dis­po­nible sur inter­net.

[9] Ibid.

Podcast
Vers la JIE7
Actualités
Affiche de la journée

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.