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Zappeur JIE7

Enfant placé, prendre place

Zappeur n° 18
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Enfant pla­cé, prendre place

Christelle Sandras

 

L’atelier « L’enfant pla­cé » che­mine et la ques­tion insiste : qu’est-ce qu’un enfant pla­cé ? 

D’abord cette for­mule est celle du dis­cours cou­rant et se réfère à la dimen­sion juri­dique. Dans le cadre de la pro­tec­tion de l’enfance, un juge peut confier un enfant s’il consi­dère que le main­te­nir dans son milieu fami­lial l’expose à un dan­ger. Si l’État, l’Aide Sociale à l’Enfance, via la jus­tice, se situe légi­ti­me­ment dans le registre de la pro­tec­tion, que peut-on dire de l’enfant pla­cé ? Avec Lacan, posons-nous ces ques­tions : l’enfant pla­cé existe-t-il ? Qu’est-ce qu’un enfant pla­cé ? Quel lien y a‑t-il entre l’enfant et l’Autre ? Et com­ment accueillir la parole de l’enfant ?

 

Partons de l’enfant

Le lien à l’Autre est de struc­ture : « être sub­jec­ti­vé, c’est prendre place dans un sujet comme valable pour un autre sujet[1]». Pour la psy­cha­na­lyse, tout enfant – et plus géné­ra­le­ment tout par­lêtre – est déter­mi­né par le lan­gage. Cela évoque la célèbre phrase de Lacan selon laquelle « le signi­fiant, c’est ce qui repré­sente le sujet pour un autre signi­fiant[2]» et sou­ligne que la sub­jec­ti­vi­té n’opère que dans un lien à l’Autre. Il n’y a pas de sub­jec­ti­vi­té en soi. Au fil de l’enseignement de Lacan, ce concept d’Autre a évo­lué. Il est d’abord exa­mi­né dans le registre du lan­gage, en tant qu’il repré­sente « le tré­sor des signi­fiants », le sys­tème sym­bo­lique qui pré-existe au sujet. Il est sup­por­té par les figures de l’Autre paren­tal, l’Autre auquel le sujet a affaire. Mais en tant que l’Autre n’existe pas, il se fonde sur lalangue qui, elle, concerne le corps[3]. Le sujet se défi­nit comme sujet de l’inconscient. Il en résulte que la dimen­sion du hia­tus, de la cou­pure est là d’emblée : pas de der­nier mot dans le lan­gage, pas d’équivalence de soi à soi, pas de lien direct entre le sujet et l’Autre : « La rela­tion du sujet à l’Autre s’engendre tout entière dans un pro­ces­sus de béance[4]».

Lacan pro­pose là un retour­ne­ment quant à notre ques­tion. Il ne s’agit plus de savoir ce qu’est un enfant pla­cé, mais bien plu­tôt com­ment chaque enfant prend place dans l’Autre. Ceci sou­ligne l’acte, la part prise, la res­pon­sa­bi­li­té de l’enfant. Le signi­fiant de l’Autre vient mar­quer le corps, l’enfant n’a d’autre choix que de répondre de ce réel.

 

Prendre place

Que le sujet soit lié à l’Autre n’oblitère pas la néces­si­té qu’il prenne place. La ques­tion de la sub­jec­ti­vi­té de l’enfant est liée aux ques­tions qu’il pose et à la réponse de l’Autre. Lacan nous  sou­met cer­taines ques­tions des enfants : Qu’est-ce que cou­rir ? Qu’est-ce que taper du pied ? Par ces ano­dines ques­tions, appa­raît chez l’enfant, nous dit-il, « la ques­tion comme telle ». Nous sommes bien en dif­fi­cul­té pour y répondre, car nous savons, avec Lacan, que, fon­da­men­ta­le­ment et de struc­ture, le signi­fiant est man­quant. Il n’y a pas de réponse. Il y aura tou­jours un écart entre le mot et ce qui veut être dit. C’est jus­te­ment avec ces ques­tions qui ne trouvent pas de réponse que l’enfant éprouve de plus près ce réel, qu’il prend du « recul par rap­port à l’usage du signi­fiant lui-même[5]». Ces ques­tions convergent vers la ques­tion de son être : qui suis-je ?

 

Alors que répondre à l’enfant ? 

Lacan est caté­go­rique, il enjoint les ana­lystes à « l’empêcher de se dire » : « je suis un enfant ». Accepter cette réponse serait l’assigner à sa posi­tion d’enfant. Ce serait faire consis­ter le mythe de l’adulte, et par­ti­ci­per à « la répres­sion psy­cho­lo­gi­sante ». Lacan parle même d’« escro­que­rie sociale »[6].

Accepter « je suis un enfant » fait écho au thème des 52èmes Journées de la Cause freu­dienne : « Je suis ce que je dis ». Peut-on enfer­mer l’enfant dans ce qu’il dit ? Déjà dans son pre­mier Séminaire, Lacan affir­mait que l’on ne peut pas faire signer à l’enfant ce qu’il dit[7]. 

À lire cette phrase à la lettre, je suis un enfant, n’équivaut à rien d’autre qu’à : je ne suis rien d’autre que moi qui parle, et, actuel­le­ment, je suis un enfant. 

Lors d’un récent évé­ne­ment à Saint-Brieuc sous le titre « L’enfant et ses pla­ce­ments », nous avons eu la chance de conver­ser avec deux juges pour enfants. Ils ont pu faire entendre leur posi­tion déli­cate de juges dans l’accueil de la parole de l’enfant et leur dif­fi­cul­té, à par­tir de cette parole, notam­ment d’évaluer le poten­tiel dan­ger de l’enfant dans sa famille. Les cas cli­niques ont pré­sen­té de manière sin­gu­lière com­ment chaque enfant a pu prendre place, se pla­cer de manière nou­velle, via l’appui sur le trans­fert, dans l’Autre auquel il a affaire. Valeria Sommer-Dupont, notre invi­tée, a mis en lumière la manière dont le parent répond, se rend res­pon­sable de l’énigme du corps sexué que l’enfant, avec son exis­tence, pré­sen­ti­fie. L’interrogation est une pre­mière sépa­ra­tion d’avec l’Autre, qui implique aus­si­tôt une alié­na­tion. 

La posi­tion de celui à qui s’adresse cette parole est cru­ciale. Elle néces­site de prendre acte que l’enfant est mar­qué par le signi­fiant de manière indé­lé­bile, que le signi­fiant de la véri­té n’existe pas. Ainsi le signi­fiant der­nier manque : aucun ne pour­ra jamais dire l’être de l’enfant. Prendre acte que, parce qu’il n’existe pas, l’Autre n’a pas la réponse. Prendre acte donc que le sujet est une énigme.

Ainsi, ren­con­trer, accueillir, en ins­ti­tu­tion ou en famille, un enfant pla­cé consis­te­rait alors à s’engager avec lui sur le che­min de l’énigme, l’accompagner à for­mu­ler plus pré­ci­sé­ment ce qui fait sa ques­tion. « Au que suis-je ?, il n’y a pas d’autre réponse au niveau de l’Autre que le laisse-toi être [8]».

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 285.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p.185.

[3] Cf. Sommer-Dupont V., « Des parents en ques­tion ! », Argument de la JIE7, dis­po­nible sur inter­net.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, op. cit.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit. p. 286.

[6] Ibidem, p. 287.

[7] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits tech­niques de Freud, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, leçon du 02 juin 1954.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 288.

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