Menu
Zappeur JIE7

La guerre des places

Zappeur n° 33
image_pdfimage_print

Jacques-Alain Miller, dans son cours « Le lieu et le lien », nous parle de l’intérêt qu’il y a à dis­tin­guer le lieu de la place. Dans une pers­pec­tive psy­cha­na­ly­tique, l’espace ne se tra­duit pas sous les espèces de l’étendue. C’est une ques­tion plus com­plexe. L’espace, nous dit J.-A. Miller, est abor­dé par Lacan en tant que lieu. Mais, qu’est-ce qu’un lieu ? Un lieu est « ce qui fait sa place à la cohue[1]». Dans un lieu, on a donc à faire à une mul­ti­pli­ci­té d’éléments qui peut, en prin­cipe, coha­bi­ter de façon paci­fique. Quand un lieu est coor­don­né, on peut y trou­ver plu­sieurs élé­ments qui ont cha­cun leur place. La place, par contre, c’est beau­coup moins paci­fique. Tenir une place implique déjà un cer­tain rap­port à l’Autre. Ainsi, quand on parle de place, ce rap­port émerge sous dif­fé­rentes formes : on pour­rait rece­voir une place, en héri­ter, se la dis­pu­ter, la perdre et ain­si de suite. Il me semble que cette dis­tinc­tion nous ouvre un angle très inté­res­sant pour abor­der le thème de la 7ème Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’enfant.

 

Ce qui peut exaspérer

Une famille qui vient dans ce lieu d’accueil qu’est le CLAP a sou­vent affaire à une guerre de places. Du côté des parents, la nais­sance d’un nouveau-né implique de fac­to une redé­fi­ni­tion des places. Il y a ceux qui sont très atta­chés à leur place et pour qui y renon­cer est insup­por­table ; d’autres se vouent ins­tan­ta­né­ment à leur nou­velle place, jusqu’à la rendre mono­li­thique ; d’autres encore mettent en place toute une série de rema­nie­ments qui finit par avoir comme résul­tat ce qu’on peut lire dans Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

 

Du côté de l’enfant, ce n’est pas plus simple. Comme nous l’apprend Lacan, l’enfant doit faire avec les signi­fiants qui pré­cé­dent sa venue au monde. Ainsi, un nouveau-né, avant même de pou­voir loger son dire, se trouve d’ores et déjà mis à une place, plus ou moins sup­por­table, selon les cas. Selon la pro­po­si­tion de J.-A. Miller, ce qui carac­té­rise une place, c’est qu’un élé­ment « peut s’y ins­crire[2]». Cet élé­ment, c’est le signifiant.

 

Il me semble que le couple signi­fiant exas­pé­réter­rible est une façon de nom­mer cette guerre des places qui peut être pro­vo­quée par ce réel qu’est la nais­sance d’un enfant. J’entends cette expres­sion dans les deux sens : d’un côté la guerre qu’il peut y avoir concer­nant le rema­nie­ment des places pour les parents et de l’autre l’accrochage qu’il peut y avoir entre la place du parent et celle de l’enfant. Dire qu’un enfant est « ter­rible », c’est loger son propre point d’exaspération dans l’Autre. Comme le dit Valeria Sommer-Dupont dans son argu­ment, « le point d’exaspération d’un parent ne se trouve pas dans l’enfant, dans un exté­rieur objec­tif qui serait décon­nec­té de la propre sub­jec­ti­vi­té du parent. Entre ce qui est dit par l’un et ce qui est enten­du par l’autre, il y a un gap où gît le mal­en­ten­du fon­da­men­tal[3]». Il arrive donc que ce mal­en­ten­du puisse exas­pé­rer les enfants comme les parents. Dans les deux cas, nous avons affaire à une place deve­nue insup­por­table. Comment se sor­tir de là ?

 

Trouver un lieu pour pou­voir chan­ger de place

Être accueilli au CLAP, c’est ren­con­trer un cli­ni­cien qui se place de manière spé­ci­fique dans le dis­cours, à une place vide à par­tir d’où il accueille l’imaginaire du sujet – du côté de l’enfant ou du parent – et opère au-delà, sur le plan du signi­fiant. C’est ain­si qu’une chance peut être don­née à un cer­tain rema­nie­ment des places. C’est la ren­contre avec un enfant qui m’a ensei­gné sur cette rela­tion entre lieu et place.

À 3 ans, il était venu au CLAP, car la place qu’il occu­pait pour sa mère n’était plus tenable. Pourtant, impos­sible pour le petit gar­çon de la lais­ser tom­ber. Sa mère, exas­pé­rée, vint parce que son fils refu­sait de dor­mir tout seul dans sa chambre, empê­chant son som­meil. La nais­sance d’une petite sœur a été l’occasion de lui signi­fier que c’était le moment, pour lui, d’aller dor­mir tout seul dans sa chambre à lui. C’est alors qu’il pro­nonce : « Mais c’est toi qui m’as dit de dor­mir avec toi ! » Sa mère alors, embar­ras­sée, se jus­ti­fie en disant qu’elle l’a fait pour qu’il ne soit pas jaloux de sa sœur, mais que main­te­nant il faut arrê­ter. Cela a des effets sur lui : à l’école, il devient de plus en plus agi­té et il ne suit plus les consignes de la maî­tresse. À ce moment pré­cis, pris dans la dimen­sion ima­gi­naire, l’ap­pui sym­bo­lique ne per­met pas de séparer…

Au tra­vail au CLAP, ce petit gar­çon com­mence à vou­loir cacher quelque chose. Il me dit qu’il veut faire un des­sin tout seul. J’accueille cette pro­po­si­tion et je lui assure que je ne vais pas regar­der. Souriant, il se sai­sit rapi­de­ment de cette offre. Je me lève et, en par­tant, je le pré­viens que je fer­me­rai le rideau pour pro­té­ger son espace. Lors de l’accueil sui­vant, il s’installe à la même table, pour faire encore un des­sin. Cette fois, c’est lui-même qui ferme le rideau der­rière lui, en ajou­tant : « On va dire que c’est le rideau pour maman, ain­si elle ne va pas m’embêter ! » L’enfant accepte main­te­nant de s’endormir dans sa chambre et nous appre­nons qu’à l’école ça se passe beau­coup mieux : il a même fait part à la maî­tresse de ses séances de tra­vail au CLAP, qu’il appelle « le lieu ».

Cette vignette montre qu’un cer­tain rema­nie­ment du lien au signi­fiant est pos­sible par la mise en fonc­tion d’un lieu. Au CLAP, l’enfant a ren­con­tré un S2 (« rideau ») qui a pu répondre à son S1 (« tout seul »). À par­tir de cette ren­contre, il a posé la bar­rière du signi­fiant, qui lui a per­mis de se fabri­quer une nou­velle place, un peu plus à l’abri de la jouis­sance de l’Autre maternel.

 

[1] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. Le lieu et le lien », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris 8, leçon du 15 novembre 2000, inédit.

[2] Ibid.

[3] Valeria Sommer-Dupont, « Des parents en ques­tion ! », dis­po­nible sur inter­net.

Podcast
Vers la JIE7
Actualités
Affiche de la journée

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.