Menu
Zappeur JIE7

Le TDA/H comme traitement de la culpabilité

Zappeur n° 28
image_pdfimage_print

Les moda­li­tés de trai­te­ment de la face ter­rible de l’enfant – tou­jours ter­rible pour le parent qui s’évertue à vou­loir son bien, à l’éduquer, c’est-à-dire à faire taire le ter­rible pour qu’il rentre dans les normes (dans les clous, comme on dit…) – sont aus­si variées et évo­lu­tives selon les époques et les cultures que le symp­tôme de l’enfant lui-même.

Du fait de l’alliance du dis­cours scien­ti­fique et du dis­cours capi­ta­liste, les abords du ter­rible de l’enfant se sont mul­ti­pliés dans le champ du diag­nos­tic durant ces deux der­niers siècles. Le XXe siècle a ain­si connu sa flop­pée de diag­nos­tics en tous genres, dont celui qui nous inté­resse ici, de trouble du défi­cit de l’attention avec ou sans hyper­ac­ti­vi­té (TDA/H). Bien qu’aujourd’hui cou­ram­ment répan­du et connu de tous, l’observation (au sérieux sidé­rant) de Mary Fowler le décrit de la meilleure des façons, car elle conjugue ce ter­rible enfan­tin à l’exaspération paren­tale : « Le trouble défi­ci­taire de l’attention est un désa­van­tage (disa­bi­li­ty) caché. Aucun mar­queur phy­sique n’existe pour iden­ti­fier sa pré­sence, mais il n’est pas dif­fi­cile à repé­rer. Ouvrez sim­ple­ment vos yeux et vos oreilles lorsque vous pas­sez à des endroits où il y a des enfants – en par­ti­cu­lier là où on attend des enfants qu’ils se com­portent d’une façon calme, ordon­née et pro­duc­tive. Là, les enfants qui ont un trouble défi­ci­taire de l’attention se repèrent habi­tuel­le­ment sans aucune dif­fi­cul­té. Ils sont en train de faire ou de ne pas faire quelque chose, et le résul­tat est qu’on leur fait des remarques et des cri­tiques du genre : “Pourquoi tu n’écoutes jamais ?”. “Réfléchis avant d’agir”. “Fais atten­tion”.[1]»

François Sauvagnat a retra­cé l’histoire du TDA/H tout en poin­tant les écueils, notam­ment métho­do­lo­giques, ayant conduit à un tel trouble. Il met ain­si en évi­dence que, mal­gré la volon­té des cher­cheurs suc­ces­sifs de lui trou­ver une étio­lo­gie neu­ro­lo­gique, cela s’est chaque fois sol­dé par un échec[2]. Ajoutons que sept mois avant de mou­rir, l’un des pères du TDA/H, Leon Eisenberg, pris par le remord, confesse : « Le TDA/H est un excellent exemple de mala­die fabri­quée », esti­mant que la « pré­dis­po­si­tion géné­tique au TDA/H est com­plè­te­ment sur­es­ti­mée »[3].

Pourquoi avoir alors main­te­nu un tel diag­nos­tic sans tenir compte de ses consé­quences et du fait que la cause neu­ro­lo­gique soit infon­dée ? Guy Trobas repère l’intention der­rière ce diag­nos­tic : il vise à décul­pa­bi­li­ser le parent[4], qui s’estime, à l’époque aux États-Unis et au Royaume-Uni, stig­ma­ti­sé de n’avoir pas don­né assez d’amour à son enfant, puisqu’il leur a été dit que celui-ci souf­fri­rait de carence dite affec­tive… 

Lacan démontre très tôt qu’il est plus que dou­teux qu’il y ait une dose d’amour néces­saire pour que l’enfant ne soit pas ter­rible, et que les ques­tions du manque et du trop se jouent à un tout autre niveau que sur celui de l’objectalité. Il décale ain­si la focale de la ques­tion du besoin à celle du désir[5]. Le TDA/H devient ain­si un élé­ment de dis­cours qui se démarque par son uti­li­té sociale, voire paren­tale, au détri­ment de sa scien­ti­fi­ci­té. Notons que tout élé­ment de dis­cours ne peut qu’échouer à attra­per dans sa toile le tout du ter­rible de l’enfant, car quelque chose ne s’attrape pas de façon abso­lue dans le dis­cours, un reste demeure.

Il n’en reste pas moins que le parent se pré­sente par­fois avec un point de culpa­bi­li­té à l’égard de son enfant dont les symp­tômes inter­pellent – que ce soit au sein de la cel­lule fami­liale, à l’école ou ailleurs. Il n’est pas rare que le parent se demande : « Qu’est-ce que j’ai raté ? Il n’a pour­tant man­qué de rien ». Le sur­gis­se­ment du trop de son enfant, sous les aus­pices de ce symp­tôme aux formes si diverses et évo­lu­tives, peut angois­ser le parent, lui faire par­fois honte, voire aller jusqu’au vœu de mort incons­cient. Car, si la culpa­bi­li­té, nous apprend Freud, est tou­jours mal située, elle demeure de struc­ture et les ten­ta­tives visant à défaire le sujet de sa culpa­bi­li­té prennent le risque d’en redou­bler l’intensité. La règle dic­tée par Freud est alors de désan­gois­ser, non de décul­pa­bi­li­ser, car l’opération est impos­sible. Il s’agit néan­moins d’entendre le parent sur le réel qu’il tra­verse lui-même dans cette affaire et que « l’instance cri­tique[6]» qu’incarne par­fois l’enfant pour lui a réveillée. C’est ain­si per­mettre au parent de faire les tours de parole qui sont néces­saires à obte­nir un des­ser­rage de la culpa­bi­li­té grâce au lien renoué avec son désir.

[1] Fowler M., 1992, cité par F. Sauvagnat in « Une enti­té contro­ver­sée : l’hyperactivité avec trouble défi­ci­taire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52.

[2] Cf. Sauvagnat F., « Une enti­té contro­ver­sée : l’hyperactivité avec trouble défi­ci­taire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52–61.

[3] Cf. Eisenberg L., cité par J. Blech, in « Schwermut ohne Scham », Der Spiegel, n°6, 6 février 2012, dis­po­nible sur inter­net : « ADHS ist ein Paradebeispiel für eine fabri­zierte Erkrankung […]. Die gene­tische Veranlagung für ADHS wird voll­kom­men überschätzt ».

[4] Cf. Trobas G., inter­ven­tion lors d’une for­ma­tion dans le cadre du CMPP de Fougères, à Rennes, le 22 octobre 2022, inédit.

[5] Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir dans l’inconscient freu­dien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 814.

[6] Holvoet D., « La crise : prin­cipe orga­ni­sa­teur de la famille ? », Zappeur, n°17, dis­po­nible sur inter­net.

Podcast
Vers la JIE7
Actualités
Affiche de la journée

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.