8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Zappeur JIE7

Le TDA/H comme traitement de la culpabilité

Zappeur n° 28
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Les moda­li­tés de trai­te­ment de la face ter­rible de l’enfant – tou­jours ter­rible pour le parent qui s’évertue à vou­loir son bien, à l’éduquer, c’est-à-dire à faire taire le ter­rible pour qu’il rentre dans les normes (dans les clous, comme on dit…) – sont aus­si variées et évo­lu­tives selon les époques et les cultures que le symp­tôme de l’enfant lui-même.

Du fait de l’alliance du dis­cours scien­ti­fique et du dis­cours capi­ta­liste, les abords du ter­rible de l’enfant se sont mul­ti­pliés dans le champ du diag­nos­tic durant ces deux der­niers siècles. Le XXe siècle a ain­si connu sa flop­pée de diag­nos­tics en tous genres, dont celui qui nous inté­resse ici, de trouble du défi­cit de l’attention avec ou sans hyper­ac­ti­vi­té (TDA/H). Bien qu’aujourd’hui cou­ram­ment répan­du et connu de tous, l’observation (au sérieux sidé­rant) de Mary Fowler le décrit de la meilleure des façons, car elle conjugue ce ter­rible enfan­tin à l’exaspération paren­tale : « Le trouble défi­ci­taire de l’attention est un désa­van­tage (disa­bi­li­ty) caché. Aucun mar­queur phy­sique n’existe pour iden­ti­fier sa pré­sence, mais il n’est pas dif­fi­cile à repé­rer. Ouvrez sim­ple­ment vos yeux et vos oreilles lorsque vous pas­sez à des endroits où il y a des enfants – en par­ti­cu­lier là où on attend des enfants qu’ils se com­portent d’une façon calme, ordon­née et pro­duc­tive. Là, les enfants qui ont un trouble défi­ci­taire de l’attention se repèrent habi­tuel­le­ment sans aucune dif­fi­cul­té. Ils sont en train de faire ou de ne pas faire quelque chose, et le résul­tat est qu’on leur fait des remarques et des cri­tiques du genre : “Pourquoi tu n’écoutes jamais ?”. “Réfléchis avant d’agir”. “Fais atten­tion”.[1]»

François Sauvagnat a retra­cé l’histoire du TDA/H tout en poin­tant les écueils, notam­ment métho­do­lo­giques, ayant conduit à un tel trouble. Il met ain­si en évi­dence que, mal­gré la volon­té des cher­cheurs suc­ces­sifs de lui trou­ver une étio­lo­gie neu­ro­lo­gique, cela s’est chaque fois sol­dé par un échec[2]. Ajoutons que sept mois avant de mou­rir, l’un des pères du TDA/H, Leon Eisenberg, pris par le remord, confesse : « Le TDA/H est un excellent exemple de mala­die fabri­quée », esti­mant que la « pré­dis­po­si­tion géné­tique au TDA/H est com­plè­te­ment sur­es­ti­mée »[3].

Pourquoi avoir alors main­te­nu un tel diag­nos­tic sans tenir compte de ses consé­quences et du fait que la cause neu­ro­lo­gique soit infon­dée ? Guy Trobas repère l’intention der­rière ce diag­nos­tic : il vise à décul­pa­bi­li­ser le parent[4], qui s’estime, à l’époque aux États-Unis et au Royaume-Uni, stig­ma­ti­sé de n’avoir pas don­né assez d’amour à son enfant, puisqu’il leur a été dit que celui-ci souf­fri­rait de carence dite affec­tive… 

Lacan démontre très tôt qu’il est plus que dou­teux qu’il y ait une dose d’amour néces­saire pour que l’enfant ne soit pas ter­rible, et que les ques­tions du manque et du trop se jouent à un tout autre niveau que sur celui de l’objectalité. Il décale ain­si la focale de la ques­tion du besoin à celle du désir[5]. Le TDA/H devient ain­si un élé­ment de dis­cours qui se démarque par son uti­li­té sociale, voire paren­tale, au détri­ment de sa scien­ti­fi­ci­té. Notons que tout élé­ment de dis­cours ne peut qu’échouer à attra­per dans sa toile le tout du ter­rible de l’enfant, car quelque chose ne s’attrape pas de façon abso­lue dans le dis­cours, un reste demeure.

Il n’en reste pas moins que le parent se pré­sente par­fois avec un point de culpa­bi­li­té à l’égard de son enfant dont les symp­tômes inter­pellent – que ce soit au sein de la cel­lule fami­liale, à l’école ou ailleurs. Il n’est pas rare que le parent se demande : « Qu’est-ce que j’ai raté ? Il n’a pour­tant man­qué de rien ». Le sur­gis­se­ment du trop de son enfant, sous les aus­pices de ce symp­tôme aux formes si diverses et évo­lu­tives, peut angois­ser le parent, lui faire par­fois honte, voire aller jusqu’au vœu de mort incons­cient. Car, si la culpa­bi­li­té, nous apprend Freud, est tou­jours mal située, elle demeure de struc­ture et les ten­ta­tives visant à défaire le sujet de sa culpa­bi­li­té prennent le risque d’en redou­bler l’intensité. La règle dic­tée par Freud est alors de désan­gois­ser, non de décul­pa­bi­li­ser, car l’opération est impos­sible. Il s’agit néan­moins d’entendre le parent sur le réel qu’il tra­verse lui-même dans cette affaire et que « l’instance cri­tique[6]» qu’incarne par­fois l’enfant pour lui a réveillée. C’est ain­si per­mettre au parent de faire les tours de parole qui sont néces­saires à obte­nir un des­ser­rage de la culpa­bi­li­té grâce au lien renoué avec son désir.

[1] Fowler M., 1992, cité par F. Sauvagnat in « Une enti­té contro­ver­sée : l’hyperactivité avec trouble défi­ci­taire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52.

[2] Cf. Sauvagnat F., « Une enti­té contro­ver­sée : l’hyperactivité avec trouble défi­ci­taire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52–61.

[3] Cf. Eisenberg L., cité par J. Blech, in « Schwermut ohne Scham », Der Spiegel, n°6, 6 février 2012, dis­po­nible sur inter­net : « ADHS ist ein Paradebeispiel für eine fabri­zierte Erkrankung […]. Die gene­tische Veranlagung für ADHS wird voll­kom­men überschätzt ».

[4] Cf. Trobas G., inter­ven­tion lors d’une for­ma­tion dans le cadre du CMPP de Fougères, à Rennes, le 22 octobre 2022, inédit.

[5] Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dia­lec­tique du désir dans l’inconscient freu­dien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 814.

[6] Holvoet D., « La crise : prin­cipe orga­ni­sa­teur de la famille ? », Zappeur, n°17, dis­po­nible sur inter­net.