Menu
Zappeur JIE7

Parents exaspérés – Enfants parfaits

Zappeur n° 28
image_pdfimage_print

Les parents exas­pé­rés dont il est ques­tion pour la 7è jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’enfant, nous les ima­gi­nons aisé­ment tant l’image nous en est fami­lière. Ils sont exas­pé­rés face à leur petite – ou grande – ter­reur à l’agitation incon­trô­lable. Cependant, un autre type de ter­reur semble de plus en plus se faire entendre en cabi­nets ou en ins­ti­tu­tions. Les jeunes ado­les­cents aux symp­tômes dis­crets, au mal-être dif­fus et indi­cible, qui arrivent accom­pa­gnés de leurs parents sidé­rés après la décou­verte for­tuite de sca­ri­fi­ca­tions ou par­fois suite à une ten­ta­tive de sui­cide. Le ter­rible ici prend l’apparence d’un jeune sage, et silen­cieux, comme une image.

Dans son texte « Parentalités après le patriar­cat », Éric Laurent nous invite à une recherche : défi­nir au cas par cas ce qui épate la famille, « ce qui fait office de père dans la confi­gu­ra­tion des jouis­sances d’aujourd’hui[1]».

Si, comme Valeria Sommer‑Dupont le sou­ligne, exas­pé­rés ren­voie à l’aspérité, ce qui épate est du côté d’une sor­tie de crise[2]. Trouver ce qui épate, c’est réus­sir à repé­rer ce qui va venir, en l’absence du père, faire fonc­tion du côté de l’exception.

Pour ces ado­les­cents sages, il s’avère jus­te­ment bien dif­fi­cile de rele­ver une aspé­ri­té, de trou­ver ce à quoi s’accrocher pour apla­nir par la suite le malaise. En effet, depuis quelques années, nous voyons en nombre ces ado­les­cents pour les­quels on ne repère pas d’agitation, de cris ou de rébel­lion bruyante. Au contraire, ils sont sans his­toires, bons élèves, tou­jours sages. Ils semblent tout juste sor­tis d’une enfance sans heurts au sein de familles aimantes. Comme un conte de fées bru­ta­le­ment interrompu.

La presse se fait l’écho de ce malaise. Ainsi, cet article du Monde qui relève le nombre de plus en plus impor­tant de ces ado­les­cents sui­ci­daires dans les ser­vices de pédo­psy­chia­trie[3]. La plu­part des sec­teurs étant débor­dés, la situa­tion s’aggrave : des jeunes au plus mal res­tent sur liste d’attente pen­dant des semaines, par­fois en vain.

Certains éta­blis­se­ments sco­laires, éta­blis­se­ments dits d’excellence, ont même eu recours à des audits, tant l’état psy­chique d’un grand nombre de leurs col­lé­giens les pré­oc­cupent[4]. Les conclu­sions confirment les doutes, sou­lignent le nombre de jeunes, majo­ri­tai­re­ment des filles, en grandes dif­fi­cul­tés, allant des troubles ali­men­taires aux idées sui­ci­daires, sou­vent les deux. La majo­ri­té de ces élèves en souf­france psy­chique dit res­sen­tir un grand vide. Un der­nier aspect res­sort sin­gu­liè­re­ment des conclu­sions, la dif­fi­cul­té de ces jeunes à « com­mu­ni­quer » – autre­ment dit, à trou­ver à qui par­ler de leur détresse.

Face à ces enfants autre­fois par­faits, la sur­prise du pas­sage à l’acte, coup de ton­nerre dans une chambre ran­gée, laisse les parents dans l’incompréhension. Que s’est-il pas­sé pour que l’enfant heu­reux, qui donne entière satis­fac­tion, devienne ce jeune ado­les­cent déser­té de l’envie de vivre ? 

C’est le cas de Bérénice, douze ans reçue suite à une brève hos­pi­ta­li­sa­tion après une ten­ta­tive de sui­cide. Elle a pris dans la phar­ma­cie fami­liale le médi­ca­ment le plus cou­rant pos­sible. Ici, point de jeunes qui avalent anxio­ly­tiques ou som­ni­fères des parents, il n’y en a pas. Seulement du Doliprane.

Pendant des mois, cette très jeune fille fait des allers-retours entre l’hôpital et la consul­ta­tion. Aucune plainte pré­cise. Le vide, l’ennui, et l’envie déci­dée d’en finir dominent, car rien de bon ne pour­ra arriver.

Les parents de Bérénice sont dému­nis face à cette volon­té de mou­rir qui ne cède pas. Au fil des ten­ta­tives de sui­cide, l’exaspération recouvre la peur. Le père, face à une nou­velle hos­pi­ta­li­sa­tion, en vient à dire : « Elle a envie de mou­rir, je com­prends, mais moi je dois tra­vailler. » L’incompréhension est totale.

C’est aus­si le cas d’Agrippine, onze ans qui ne peut rien dire, excep­té qu’elle est blo­quée, angois­sée. De quoi ? Elle ne sait pas. À quoi pense-t-elle ? À mou­rir, sou­vent, c’est à peu près tout. Il n’y a cepen­dant pas de pas­sage à l’acte ici, mais des sca­ri­fi­ca­tions, depuis long­temps. L’absence de paroles et la pré­ci­sion de ces idées sui­ci­daires alarment.

Sa mère ne com­prend pas. Elle a tout pour être heu­reuse ! De quoi se plaint-elle ?

De rien, et c’est bien le drame de ces enfants qui ne font pas de crise, ne veulent pas faire de peine à leurs parents, ne trouvent pas à s’en plaindre. Nulle aspé­ri­té pour eux. Simplement, pourrait-on presque dire, ils ne s’imaginent pas dans quelques d’années, « je n’y crois pas », dit Sacha.

Cela peut-être une figure de l’enfant zéro défaut[5] dont parle É. Laurent : il a tou­jours répon­du au fan­tasme paren­tal, bon élève, poli et sans his­toires appa­rentes. Et voi­là que l’image par­faite se fis­sure pour lais­ser entr’apercevoir le réel qui l’abîme. Les parents en res­tent encore sans voix. Que dire de celui qui n’a jamais fait par­ler de lui, car il répon­dait aux exi­gences fami­liales ? L’image se déchire et appa­raît cruel­le­ment le mal­en­ten­du entre parents et enfants. Ne pouvons-nous y lire ce que Lacan défi­nit dans sa « Note sur l’enfant » comme « l’irréductible d’une trans­mis­sion – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satis­fac­tions des besoins[6]» ? Nous pou­vons repé­rer dans cette cli­nique com­ment, là où l’imaginaire régnait, sur­git le réel de la rela­tion entre parent et enfant. Daniel Roy déve­loppe ain­si : « Quand cet objet n’a pas de place sub­jec­ti­ve­ment comme cause du désir et reste de jouis­sance, il s’incarne dans enfant-le-terrible[7]». Le ter­rible ici n’étant pas incar­né dans l’agitation mais la mortification.

Nombreuses sont les pistes qui tentent de cer­ner d’où vient ce malaise, cepen­dant, comme Éric Zuliani le remarque, c’est leur grande soli­tude à cette époque des indi­vi­dua­lismes qui nous frappe[8]. Ceux-là mêmes qui se plaignent de n’avoir per­sonne à qui par­ler, peinent quand on les y invite – comme Sacha qui « n’y croit pas ». Comment s’orienter dans la cli­nique quand rien n’épate ?

Sidonie fait pous­ser une petite graine après de mul­tiples ten­ta­tives de sui­cide ayant lais­sé tout le monde dému­ni des mois durant. Elle plante au sens propre ces graines en nombre et s’occupe avec soin de leur crois­sance. En-deçà d’un épin­glage signi­fiant repé­ré, faire pous­ser des plantes per­met ici de par­ler de la vie. C’est un petit joint, fra­gile, au « sen­ti­ment de la vie[9]». Ce qui nous amène, dans cette cli­nique sur un fil, à être atten­tif aux infimes détails.

[1] Laurent É., « Parentalités après le patriar­cat », https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​z​a​p​p​e​u​r​-​j​i​e​7​/​p​a​r​e​n​t​a​l​i​t​e​s​-​a​p​r​e​s​-​l​e​-​p​a​t​r​i​a​r​c​at/

[2] Cf. Sommer-Dupont V., « Argument #1 », dis­po­nible sur le site de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien.

[3] Cf. Gauchard Y., « Situation alar­mante de la pédo­psy­chia­trie dans l’ouest de la France », Le Monde, 18 août 2022, dis­po­nible sur inter­net.

[4] L’un de ces docu­ments m’a été confié par des parents.

[5] Cf. Laurent É., « Cómo criar a los niños », entre­tien avec V. Rubens, 5 novembre 2008, dis­po­nible sur le site de l’ELP.

[6] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.

[7] Roy D., « Parents exas­pé­rés – Enfants ter­ribles », dis­po­nible sur le site de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien.

[8] Cf. Zuliani É., « En famille : du bruit et des éclats », dis­po­nible sur le site de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien.

[9] Lacan J., « D’une ques­tion pré­li­mi­naire à tout trai­te­ment pos­sible de la psy­chose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.

Podcast
Vers la JIE7
Actualités
Affiche de la journée

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.